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Cas Steve Duarte : le Luxembourg pour un procès en Irak


À ce jour, aucun indice ne dit que Steve Duarte, ce résident luxembourgeois de nationalité portugaise, ait été libéré ou pas. (capture ©rudaw.net)

Le Luxembourg soutient la proposition de la France de juger les jihadistes partis combattre en Syrie devant un tribunal pénal international. Mais rien n’est acquis.

L’offensive lancée le 9 octobre par la Turquie dans le nord de la Syrie n’a fait qu’accentuer le problème. Les Occidentaux redoutent que les 12 000 jihadistes détenus par les Kurdes en Syrie – dont 2 500 à 3 000 étrangers – ne s’évadent. Selon les dernières estimations, près de 800 femmes et enfants de jihadistes étrangers ont déjà réussi à s’enfuir du camp de déplacés à Aïn Issa. Mardi, le ministre russe de la Défense a annoncé que près de 500 jihadistes se sont échappés depuis le lancement de l’offensive turque.

Le «risque de dispersion», fustigé la semaine dernière par le Conseil de sécurité de l’ONU, est en train de se confirmer. Avec toutes les conséquences sur la situation sécuritaire à la clé. Les experts évoquent des migrations incontrôlées de jihadistes vers l’Europe avec le risque d’attentat par des personnes idéologisées et, d’autre part, la reconstitution de groupes terroristes combattants particulièrement aguerris et déterminés dans la région.

«Pas du jour au lendemain»

À ce jour, on ne sait pas si Steve Duarte, son épouse et leurs deux enfants ont réussi à prendre la fuite. La question de savoir si le jihadiste présumé, originaire de Meispelt, est encore en vie doit même être posée. Hier matin, les députés luxembourgeois ont fait le point avec le ministre des Affaires étrangères et la ministre de la Justice. Parmi les principales annonces : le Luxembourg s’allie désormais à la France pour avancer sur le cas Duarte. «Il est important de se concerter avec nos pays voisins, surtout avec ceux qui ont vraiment les moyens d’agir sur le terrain», souligne Sam Tanson. Marc Angel, président de la commission des Affaires étrangères, confirme bien que les relations diplomatiques avec la France ont été renforcées dans la question du rapatriement de combattants terroristes, partis rejoindre les rangs de l’État islamique.

Jusqu’à présent, la France, qui compte environ 200 ressortissants adultes dans les camps et prisons kurdes, se refuse de les rapatrier, comme nombre d’autres pays. Elle souhaite que ces jihadistes soient jugés au plus près du lieu de leurs crimes.

Le gouvernement français a donc lancé, en juin, la piste de l’instauration d’un tribunal pénal international (TPI) pour juger les crimes commis par des combattants étrangers en Syrie et en Irak. Le Luxembourg soutient cette proposition, «même s’il faudra encore le soutien de l’UE et de l’ONU». «Pas mal de pays, qui ne sont pas concernés par le rapatriement de combattants terroristes, se montrent réservés. Cela ne se fera pas du jour au lendemain», temporise Marc Angel. Mais la mise en place d’un tel TPI, comme il a déjà existé pour les crimes de guerre commis au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, pourrait arranger les affaires du gouvernement luxembourgeois, plutôt embêté par le cas Steve Duarte.

Le CSV n’exclut pas la peine de mort

Incarcéré depuis fin mai dans un camp kurde, le jihadiste présumé tentait, depuis plusieurs mois, de minimiser son rôle dans les rangs de l’EI et clamait son espoir de pouvoir revenir au Grand-Duché. «Nous soutenons absolument la création d’un TPI. Chaque prisonnier serait traité de la même manière et selon les principes des droits de l’homme, ce qui nous importe beaucoup», résume Sam Tanson. Elle admet que Steve Duarte «est né au Luxembourg, il a grandi au Luxembourg et s’est aussi radicalisé au Luxembourg. Nous sommes donc obligés de prendre nos responsabilités, sur le plan judiciaire et sur la voie diplomatique.» Or, le fait que Steve Duarte ne possède qu’un passeport portugais soulève pas mal de questions.

En septembre encore, Jean Asselborn avait souligné que la justice devait trancher. «On dispose de moyens limités. Imaginez qu’il soit arrêté en Irak. Dans ce cas, le Luxembourg n’a pas moyen de demander son extradition vu qu’il n’est pas un ressortissant luxembourgeois. On n’a pas de convention avec l’Irak, le mandat n’aurait donc aucun impact», complète Sam Tanson.

L’ADR reste sur la piste de se concerter avec les autorités portugaises afin de clarifier si Steve Duarte serait plutôt amené à répondre de haute trahison. Son sort reste donc encore à trancher.

En attendant, le CSV est prêt à accepter la peine de mort que Steve Duarte risque devant un simple tribunal irakien. «Il a commis ses actes en pleine connaissance de cause», conclut Laurent Mosar.

David Marques

Ce que dit le Code pénal

Le Luxembourg a complété par la loi du 18 décembre 2015 son code pénal pour tenir compte des nouvelles formes de terrorisme.

›Les modifications opérées facilitent l’incrimination d’actes de provocation au terrorisme, de recrutement, de formation et de l’entraînement au terrorisme, ainsi que la commission d’actes préparatoires au terrorisme.
›La loi vise encore à incriminer une personne qui, à partir du territoire luxembourgeois, se rend ou se prépare à se rendre dans un autre État avec l’intention de commettre, d’organiser, de préparer ou de participer à des infractions terroristes. D’autres dispositions se rapportent à l’interdiction de sortie du territoire, l’interdiction de réadmission sur le territoire national, le retrait du passeport et de la carte d’identité.
›Au niveau des peines, la loi prévoit un emprisonnement d’un à huit ans ou une amende de 2 500 à 12 500 euros.
›Actuellement, la Chambre travaille sur un renforcement supplémentaire du cadre légal pour poursuivre les déplacements, le recrutement et le financement des combattants terroristes étrangers.

Le Luxembourg paré

La ministre de la Justice souligne que les autorités luxembourgeoises sont préparées à un éventuel retour au pays du jihadiste présumé Steve Duarte.

Laurent Mosar (CSV) est catégorique : «Il est important qu’on mette tout en œuvre pour que ce terroriste dangereux ne revienne pas au Luxembourg.» Et pourtant, aucun scénario n’est à exclure. Le gouvernement et la justice ont par conséquent pris les dispositions nécessaires pour être préparés à toute éventualité.

Depuis le début de l’offensive turque dans le nord de la Syrie, le sort de milliers de combattants de l’État islamique, arrêtés et incarcérés par les Kurdes, est ouvert. À ce jour, aucun indice ne dit que Steve Duarte, ce résident luxembourgeois de nationalité portugaise, ait été libéré ou pas. Ces derniers mois, le jihadiste présumé a clamé à plusieurs reprises sa volonté de revenir au Grand-Duché et d’accepter la peine de prison qui l’attend.

«Au vu de la situation géopolitique, nous ne savons pas ce qui adviendra de cet individu», indique la ministre de la Justice, Sam Tanson. Avec le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, elle s’est présentée mardi matin devant les députés pour faire le point. «On sait qu’un mandat d’arrêt international a été émis à son égard. Il est important que la justice ait préparé le terrain. S’il revient au Luxembourg, nous aurons les moyens de le poursuivre, de l’emprisonner et de prendre les mesures qui s’imposent», détaille Sam Tanson. Elle insiste toutefois sur la séparation des pouvoirs : «Je n’ai aucune connaissance sur quels éléments le juge d’instruction s’est basé pour émettre le mandat. Le secret de l’instruction doit être respecté.» Le cas échéant, l’instruction se poursuivra avec à la clé un procès et un jugement.

Le camp chrétien-social se dit plus inquiet. «Je ne sais pas si nous disposons au centre pénitentiaire de Schrassig des moyens nécessaires pour encadrer une personne d’une telle dangerosité», indique Laurent Mosar.

Le Parti pirate soutient lui la démarche des autorités. «Émettre un mandat d’arrêt international a été la bonne piste à suivre. Si jamais, M. Duarte se fait arrêter en Europe, le mandat évitera qu’il puisse à un moment se retrouver dans la nature», note Sven Clement. Par contre, l’ADR de Fernand Kartheiser «ne peut pas se montrer satisfait des efforts pris dans ce dossier». Mais vu le huis clos décrété pour la réunion de mardi, le député n’a pas pu détailler sa critique.