La conférence des présidents veut finalement entendre un nouvel avis d’expert avant de déclarer la Chambre des députés compétente pour juger l’ancienne ministre Carole Dieschbourg.
« Il ne s’agit absolument pas d’une volte-face de notre part, nous avons simplement émis le souhait d’entendre Luc Heuschling, un spécialiste en droit constitutionnel qui ne partage pas les mêmes conclusions que le service juridique de la Chambre, ni celles du parquet général», reprend Josée Lorsché, cheffe de la fraction déi gréng, quand on l’interroge sur les conséquences d’une telle demande d’audition.
Le professeur de droit constitutionnel, qui s’est exprimé dans les médias, estime que les députés ne sont pas compétents pour mettre en accusation un ancien ministre, contrairement à ce que dit la jurisprudence sur laquelle s’est toujours appuyé le Luxembourg.
La députée écolo insiste : «La loi d’application n’existe toujours pas pour cet article de la Constitution qui en plus va disparaître dans le nouveau texte. On se trouve dans un vide juridique et il s’agit de ne pas commettre d’erreur», explique Josée Lorsché, qui veut avoir «une autre lecture». Cette fonction de juge que la Constitution accorde aux députés est largement désuète pour la députée qui brandit le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. «Nous ne sommes plus dans un État de droit si la Chambre des députés est compétente pour juger une personne. C’est une lourde responsabilité et elle fait mal.»
« Ce n’est pas à la tête du client qu’il faut se prononcer »
Il y a une semaine, pourtant, la conférence des présidents avait décidé de prendre le relais du parquet dans le dossier de la cabane de jardin de Roberto Traversini dans lequel la ministre verte, Carole Dieschbourg, veut être entendue. «Ils étaient sur la bonne voie», estime le socialiste Alex Bodry, actuel conseiller d’État, désolé de la tournure que prennent les évènements. «La plus haute juridiction belge, comme le parquet général et la Chambre des députés étaient sur la même longueur d’onde à l’époque de l’affaire Jeannot Krecké. Rien n’a changé depuis, pas d’éléments nouveaux qui puissent contredire cette interprétation et ce n’est pas à la tête du client qu’il faut se prononcer aujourd’hui», met en garde le juriste, spécialiste lui aussi en matière de droit constitutionnel.
Sans ce rebondissement, car c’en est un, les députés auraient voté une résolution autorisant la police judiciaire à auditionner Carole Dieschbourg, comme elle le souhaite, d’ailleurs, pour pouvoir se défendre. Pour l’heure, cette résolution n’est pas prête. La majorité veut d’abord entendre Luc Heuschling et son interprétation des textes. En résumé, le professeur à l’université de Luxembourg dit clairement que l’ancienne ministre n’a plus de compte à rendre à la Chambre des députés, mais à la justice, que les faits incriminés aient été commis en relation avec sa fonction ou pas.
Seuls juges
Que se passera-t-il si les députés changent d’avis et décide finalement que la Chambre n’est pas compétente pour juger l’ancienne ministre? Un blocage du dossier? Il faudrait que le parquet revienne sur sa décision et entende Carole Dieschbourg comme n’importe quel justiciable. Sinon, effectivement, ce serait l’impasse. «Nous ne cherchons pas à bloquer le dossier. Au contraire, nous allons trouver une solution pour que Carole Dischbourg bénéficie d’un procès équitable et qu’elle soit entendue», déclare Josée Lorsché.
Mais qu’en est-il alors du secret de l’instruction, un autre sacro-saint principe d’ores et déjà violé. Une partie des députés l’ont déjà lu et ils ne sont pas couverts par le secret professionnel. Ils sont même protégés par la Constitution qui leur confère le droit de dire ce qu’ils veulent à la tribune de la Chambre sans être inquiétés. «Ils ne peuvent pas être poursuivis s’ils dévoilent des éléments de l’enquête à la tribune, sauf à leur appliquer les principes de l’instruction pénale, en décrétant qu’il s’agit d’une instruction particulière à caractère politique», suggère Alex Bodry.
Voilà tout le danger que voit Josée Lorsché dans le fait de se substituer à des juges. «La Chambre a déclaré dans sa résolution concernant le dossier Krecké en 2012 que c’est un exercice dangereux de mélanger les rôles», rappelle Josée Lorsché.
À cette époque, le procureur général d’État, Robert Biever, avait conseillé les députés qui avaient classé l’affaire comme il l’aurait fait lui-même et il n’y a donc pas eu de mise en accusation.
Cette fois, les députés sont livrés à eux-mêmes et seuls juges dans cette affaire, à savoir dans un premier temps, s’ils sont compétents ou pas dans le dossier Dieschbourg. Avant d’en décider, la majorité invite un nouvel expert à la barre.