Le téléphone ne cesse de sonner dans la centrale de l’Horesca, la fédération nationale des hôteliers, restaurateurs et cafetiers. Avec 2 200 membres, l’association représente plus de 80 % d’un secteur fermé depuis plus de 125 jours en raison de la crise sanitaire. Le secrétaire général François Koepp témoigne de la souffrance des tenanciers. L’argumentation de la ministre Paulette Lenert pour justifier la fermeture du secteur n’est que partiellement partagée. Les yeux sont désormais rivés sur le 1er février, date de réouverture potentielle de l’Horeca.
Vous vous êtes dit scandalisé après les annonces du gouvernement, mardi. Quel est votre état d’esprit, quelques jours plus tard ?
François Koepp : Les annonces du Premier ministre ne m’ont pas vraiment surpris. Il en va de même pour beaucoup de personnes travaillant dans l’Horeca. Nous étions réalistes, ce qui n’empêche pas que l’on soit déçus. Notre secteur est une nouvelle fois la principale victime des mesures prises. Il aurait été préférable d’attendre trois ou même quatre semaines de plus pour évaluer l’impact des restrictions prises fin décembre avant de trancher. Fallait-il laisser fermés les commerces ? Je n’en sais rien. Mais attendre plus longtemps aurait au moins permis de savoir où se trouvent les véritables vecteurs de transmission du virus. Les décisions de fermer ou ouvrir seraient devenues plus compréhensibles.
Pouvez-vous néanmoins comprendre l’argumentation de la ministre de Santé qui explique que ce sont surtout la convivialité et donc les contacts étroits, sans masque et respect des gestes barrières, y compris dans l’Horeca, qui représentent le plus grand risque d’infection ?
Au départ, la ministre évoquait le besoin de tomber sous la barre des 500 infections pour pouvoir rouvrir. Ensuite, le chiffre de 200 a été évoqué. Aujourd’hui, on parle de moins de 150. Où est le problème ? Si le gouvernement redoute que le variant britannique du Covid-19 vienne ravager le pays, il faudrait agir en conséquence et tout fermer. Mais si ce n’est pas le cas, il faut nous offrir une perspective en sachant que notre secteur est fermé depuis plus de 125 jours. Il nous faut savoir comment on pourra continuer à exister dans les mois à venir. Je ne crois pas trop à une réouverture dès le 1er février, mais nous souhaitons obtenir au plus vite une entrevue avec Paulette Lenert pour préparer une reprise à la mi-février.
Le secteur de l’Horeca reste toujours fermé en France, Belgique et en Allemagne. Quels sont vos arguments pour que le Luxembourg fasse exception ?
In fine, je peux suivre l’argumentation de la ministre, mais j’ai un grand problème avec le fait que l’on autorise en même temps la tenue des soldes ou de l’Autofestival. Cela n’est pas cohérent et crée de l’incompréhension. Mais je ne partage pas l’avis que c’est le fait de se restaurer qui pose problème. On peut accepter que le masque ne puisse être enlevé que pour boire ou manger. Réduire encore le nombre de clients par établissement est également une option. Ouvrons au moins les terrasses chauffées pour permettre aux tenanciers de gagner un peu d’argent. Si les chiffres d’infections continuent de baisser, on peut aussi réfléchir à une réouverture progressive. On peut s’imaginer que les restaurants se limitent à un service de midi et ferment à 18 h.
On ressent une certaine tension entre l’Horeca et le commerce. Quelles sont vos relations ?
Il n’y a pas de tension. Je me réjouis pour tout commerce qui peut travailler. Mais si l’on autorise à ce moment d’organiser les soldes ou le salon de l’auto, qui sont certainement très importants pour les secteurs concernés, cela véhicule le mauvais message. Cette incohérence crée l’incompréhension et le désarroi des tenanciers et des gens.
N’avez-vous pas pris contact avec la Confédération luxembourgeoise du commerce (clc) pour évoquer un décalage supplémentaire des soldes ?
On a fait part de notre désaccord d’organiser les soldes dès janvier. Mais je comprends aussi que le ministre des Classes moyennes subit la pression du commerce, où de nombreux acteurs sont également en mauvaise posture. Les seuls gagnants de la crise sont la grande plateforme américaine de vente en ligne, mais aussi certains groupes de grandes surfaces, installés au Luxembourg. Notre président Alain Rix a suggéré au gouvernement de laisser tout fermé jusque début février. Aujourd’hui, je ne peux que lancer un appel à tous les commerçants et clients de scrupuleusement respecter les règles sanitaires imposées et d’éviter les cohortes.
Dans notre édition de jeudi, l’épouse d’un restaurateur faisait part de son désarroi. Elle dit redouter des drames dans le secteur. Quels sont les échos que vous récoltez en tant que fédération ?
Nous avons réceptionné des lettres dans lesquelles des tenanciers annoncent vouloir mettre fin à leurs jours. On a eu connaissance de gens qui étaient proches de se jeter par la fenêtre. La situation est dramatique. Notre fédération est consciente de cette détresse. On nous reproche souvent de ne rien entreprendre. Mais nous nous trouvons en contact étroit avec le gouvernement. Depuis le premier confinement en mars, nous sommes engagés pour assurer l’accès de l’Horeca et des indépendants de notre secteur aux différentes aides étatiques. Bon nombre de propositions développées par l’Horesca ont été retenues par le gouvernement. Les dernières en date sont l’aide pour couvrir les frais non couverts, validée en novembre, et la nouvelle aide pour indépendants, annoncée vendredi. Et nous continuons à chercher des solutions. Si l’on affirme que l’on a été inactif, il s’agit d’un affront qui de plus provient d’établissements qui ne sont même pas membres de notre fédération.
Les remboursements étatiques du mois de novembre ont pris un grand retard
Quelle est plus précisément la situation actuelle de vos établissements, fermés une deuxième fois depuis fin novembre ?
Le problème qui crée le malaise est que les tenanciers n’ont plus de trésorerie, mais doivent continuer à payer les arriérés auprès des fournisseurs. Nous avons réussi à négocier des moratoires sur les cotisations sociales et les impôts. Le souci majeur demeure le chômage partiel. Les patrons ont été obligés d’avancer deux et bientôt trois mois de salaires. On constate que les remboursements étatiques du mois de novembre ont pris un grand retard. Nous regrettons fortement que les banques ne sont plus vraiment disposées à nous aider. Cela crée des angoisses existentielles. Les fruits du travail fourni pendant des années sont consommés. Les petits univers durement construits s’effondrent. On a des tenanciers qui ont été obligés d’hypothéquer leur propre maison. Si le Premier ministre maintient sa promesse de ne laisser personne en plan, il faut qu’il agisse en conséquence et continue à nous aider.
Où en sont les pourparlers avec le gouvernement sur ce point précis ?
Il est très important que les demandes de chômage partiel introduites par l’Horeca, contraint de rester fermé, soient traitées en priorité. En parallèle, il faut instaurer un mécanisme qui permette d’introduire au plus vite les décomptes. Les formulaires en question doivent être disponibles dès le 1er du mois suivant celui pour lequel le chômage partiel a été accordé, afin que les salaires avancés puissent être remboursés avant la moitié du mois. Ou il faudrait autoriser une avance exceptionnelle, option qui en l’état actuel des choses est refusée par le ministre du Travail. Nous revendiquons également de pouvoir siéger au Comité de conjoncture qui statue sur les demandes de chômage partiel.
Jeudi, vous avez lancé un nouvel appel urgent pour que les établissements introduisent leurs demandes afin d’obtenir les différentes aides. Comment expliquer que toute une partie omette de faire les démarches nécessaires ?
En tant qu’Horesca, nous communiquons via tous les canaux sur les aides existantes et les démarches à suivre. Mais il faut encore lire les informations que nous diffusons. Des restaurateurs et cafetiers s’offusquent de ne pas obtenir d’aide, mais après vérification de notre part avec le ministère de tutelle, il s’avère qu’aucune demande n’a été introduite… Dans d’autres cas, les demandes ne sont pas complètes et sont donc traitées avec beaucoup de retard. Nous avons pu constater que le travail sur ces dossiers est très lourd. Si les demandes sont complètes, les aides peuvent néanmoins être versées dans un délai de quatre à cinq jours. Je ne peux donc que lancer un nouvel appel à introduire dans les meilleurs délais une demande complète.
La perte qui s’est accumulée ne pourra plus être rattrapée
Vous êtes sorti avec un certain optimisme d’une entrevue, jeudi, avec le ministre des Classes moyennes. Des soutiens supplémentaires ont été mis en perspective. L’Horesca revendique notamment une nouvelle aide spéciale. À quoi songez-vous précisément ?
La perte qui s’est accumulée lors des plus de 125 jours de fermeture ne pourra plus être rattrapée. Nos marges sont limitées. Toutes les aides qui sont en place ont leur mérite, mais certaines ne sont pas accessibles à tous les établissements. Tout d’abord, nous réclamons que les aides étatiques soient prolongées jusqu’au 30 juin 2021. La nouvelle aide spéciale, destinée au seul secteur Horeca, devrait permettre de subvenir à hauteur de 35 % aux acquisitions d’une nouvelle machine ou d’autres outils. Cela permettrait de générer, après la réouverture, un plus grand chiffre d’affaires.
Vous avez aussi réclamé la mise en place d’un bon de consommation, à l’image du bon de séjour pour les hôtels. Quel est le modèle que vous proposez pour les cafés et restaurants ?
La forme et la durée de validité de ce bon restent à définir. Une option est de le télécharger en ligne en indiquant sa matricule. Le bon pourrait comprendre un pourcentage pour la consommation dans un café et un restaurant. Cette initiative serait très importante pour la relance. Car même si je ne soupçonne pas la ministre Lenert d’être de mauvaise foi, elle a affirmé publiquement que se restaurer est dangereux. La précision que le risque réside surtout dans l’absence de port du masque n’a pas été audible. Le désarroi dans le secteur était important. On redoute qu’en raison de ce genre de formulations, une certaine appréhension s’installe auprès des clients au moment de la réouverture de l’Horeca.
En vue d’une réouverture du secteur, vous réclamez aussi la mise à disposition de 60 000 tests antigéniques rapides. Uniquement pour le personnel ou aussi pour les clients ?
Pour le personnel uniquement. Dans le cadre des tests à grande échelle, l’ensemble du personnel a déjà été invité à trois reprises à se faire tester. Or beaucoup de patrons n’ont pas insisté pour que leur personnel donne suite à l’invitation. Le taux de positivité a ainsi été disproportionnellement élevé. Néanmoins, on revendique un nouveau tour de tests PCR pour l’ensemble du personnel. Les tests rapides nous permettraient de tester le personnel avant la prise de leur service et éviter ainsi d’éventuelles chaînes d’infections.
Vous évoquez souvent l’article 16 de la Constitution. Ce dernier stipule que «Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité». Si vous devez toujours rester fermés en février, est-il envisageable que vous introduisiez un recours juridique ?
On a longtemps réfléchi à ce scénario. Nous avons pris contact avec des études d’avocats. Mais il faut savoir que la durée d’un recours peut vite dépasser un an. Et en cas de recours, les aides que nous percevons seront stoppées. Une telle procédure n’apporterait donc rien de concret.
Entretien avec David Marques