Il y a nécessité urgente de développer le secteur du commerce équitable pour le cacao si l’on veut faire cesser le travail des enfants. Encore faut-il que les industriels jouent le jeu.
Les plus de cinq millions de producteurs de cacao sont bien faibles face aux géants. (Photos : Eric Saint-Pierre)
« Le secteur du cacao est en crise, au niveau des droits de l’homme, mais aussi sur le plan économique », assure Jean-Louis Zeien, président de l’association Transfair-Minka. Alors que les pères Noël en chocolat ont déjà envahi tous les rayons de supermarchés, l’un des principaux défenseurs du commerce équitable au Luxembourg fait le point sur l’industrie du cacao. « Jusqu’à la dernière décennie, il y avait assez de cacao pour les grandes industries ». Du coup, les questions du travail de l’enfant, de durabilité ou d’appauvrissement des paysans ou des populations n’étaient pas vraiment une priorité.
> Près d’un million d’enfants exploités
« L’exploitation des enfants est un fléau malgré la signature du protocole Harkin Engel en 2001 par les géants de l’industrie du chocolat. Ces derniers s’engageaient à réduire à néant l’esclavage des enfants et à stopper le travail abusif pour 2010. En 2014 le fléau persiste toujours. Il y a plus de 800 000 enfants en Côte d’Ivoire et environ 250 000 au Ghana qui travaillent dans des conditions désastreuses dans l’exploitation des fèves de cacao. Ces conditions ne respectent pas les conditions de l’organisation internationales du travail. De plus, il y a des enfants qui sont vendus en esclaves notamment dans les pays avoisinants pour aller travailler sur les plantations ivoiriennes (NDLR : c’est en Côte d’ivoire que se trouve la plus grande production mondiale). D’après les statistiques environ 15 000 enfants ont été vendus au Burkina Faso et au Mali. Maintenant, on refait cette même promesse mais pour 2020. Et certaines des grandes multinationales se sont engagées à acheter du cacao durable ». Mais est-il encore possible de les croire après cette première grosse déception ? Les experts peinent à leur faire confiance désormais, surtout que, sur cette même période, les compagnies ont fait des bénéfices faramineux.
> Cinq industriels qui contrôlent presque tout
« Les Big Five contrôlent plus de 57 % du marché (NDLR : il s’agit de Mars, Nestlé, Ferrero SpA, Cadbury Schweppes Plc et The Hershey Company). Ils étaient d’ailleurs signataires du protocole. Vous imaginez, à cinq ils contrôlent plus de 50 % du marché alors que de l’autre côté il y a des millions (NDLR : environ 5,5 millions) de petits cultivateurs. Les Big Five ont un pouvoir décisionnel disproportionné par rapport aux cultivateurs, même si ces derniers se regroupent parfois en coopératives ».
Les experts identifient deux raisons qui pourraient pousser ces compagnies à changer leur production. « Il y a la perte d’une bonne image : de plus en plus de gens prennent conscience du fléau et la moitié de l’iceberg commence à apparaître ». Il est difficile d’obtenir des chiffres exacts sur le travail des enfants, plusieurs études ont été faites, notamment par des ONG, mais les chiffres ne sont jamais exactement les mêmes, mais ce qui est sûr c’est que le problème est global.
« L’autre raison qui pousse les géants de l’agroalimentaire à agir, c’est la crainte de la pénurie du chocolat. Cette fois, ils vont devoir investir. Il y a une expression qui dit « no beans, no bars » (NDLR : pas de fève de cacao, pas de barres de chocolat). En 2020, nous allons atteindre le goulot d’étranglement avec 20 millions de tonnes de cacao. Aussi longtemps qu’il n’y avait pas de problème, ils n’ont pas investi dans les infrastructures. Il y a un vieillissement des plantes et d’autres qui ont des maladies. Près de la moitié des arbres ont plus de 20 ans ». Du fait des faibles revenus, les exploitants se tournent vers d’autres activités. Les nouvelles générations ne veulent pas reprendre l’exploitation familiale.
Par ailleurs, « lorsqu’il y a une baisse du prix du cacao, les exploitants tentent de faire baisser le coût de production, souvent en n’envoyant pas leurs enfants à l’école et en les faisant travailler sur l’exploitation familiale. Il faut que les familles gagnent suffisamment pour éviter ce phénomène, à l’instar de Yao Kouadion, un producteur en Côte d’Ivoire qui nous a dit fièrement : « Désormais je bénéficie de beaucoup d’avantages et je peux envoyer mon plus jeune fils à l’école. Je suis content car je n’ai pas pu y aller moi-même » ».
Il faut également savoir qu’avec les pays émergents, la demande de chocolat pourrait augmenter de 5 % d’ici 2020.
> Le couteau sous la gorge
L’excuse utilisée jusqu’à présent par les industriels pour justifier leur inaction quant à l’éradication du travail des enfants est : « Nous ne sommes pas les patrons des exploitations, nous ne sommes que les acheteurs de cacao ». Avec cette nouvelle situation, ils n’auront pas d’autre choix que de mettre le nez dans la chaîne de production.
Des efforts ont tout de même été faits, mais sous la pression populaire, comme en Angleterre et en Irlante où Nestlé a dû utiliser du chocolat issu de l’agriculture équitable pour ses barres Kit Kat. Mais elle n’a fait ce changement que dans ces pays, c’est la preuve que les compagnies attendent d’avoir le couteau sous la gorge pour prendre leur responsabilités.
Jean-Louis Zeien constate les évolutions : « C’est positif, mais les autres signes vont-ils dans la bonne direction ? Nous sommes positifs, mais pas naïfs ».
De notre journaliste Audrey Libiez