Ana Flores est maman d’un enfant de dix ans et accueille depuis un an un garçon de neuf ans. Le confinement a été une période difficile, qui a déclenché chez elle un burn out parental. Elle a accepté de témoigner.
«J’ai 49 ans et je suis mère célibataire. J’ai un fils de dix ans et, en avril 2019, j’ai accueilli un petit garçon qui a neuf ans aujourd’hui. Du fait du confinement, j’ai fait un burn out parental et je souhaite témoigner de ce qui m’est arrivé, de ce que je vis encore, parce que je sais que beaucoup de personnes en souffrent mais se taisent, ne se sentant pas à l’aise pour en parler, que ce soit par gêne, par peur ou par honte. Raconter ce que j’ai vécu peut peut-être aider les autres.
Lorsque le confinement a été décrété, ma mère, qui vit en Espagne, était alors en visite chez nous. Elle s’est donc retrouvée coincée avec nous. D’un côté, sa présence m’a soulagée : je me serais très certainement fait beaucoup de souci si elle était tombée malade là-bas et que je n’avais pas pu aller la voir. Mais d’un autre côté, le fait de vivre avec une autre génération, quand bien même il s’agit de vos parents, provoque quelques difficultés. Et puis, une grand-mère a une autre approche avec les enfants. Elle avait beaucoup tendance à les chouchouter par exemple.
Le burn out était là, latent
Au départ, j’essayais de garder une certaine harmonie à la maison, même si ça allait parfois un peu trop loin, car c’est un peu moi le pilier de cette famille. Mais il fallait s’occuper de tellement de choses en même temps…
En fait, le burn out était là, latent pendant tout le confinement. Mais c’est après les vacances de Pâques, à la fin de mon congé spécial, lorsque j’ai dû reprendre le travail, que j’ai pris conscience que je n’allais pas bien du tout.
Être famille d’accueil est un projet qui me tenait à cœur et afin d’avoir plus de temps pour m’occuper de cet enfant mais aussi du mien, j’avais fait une demande pour réduire mes horaires de travail – je travaille dans la finance. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu et cette réduction du temps de travail ne s’est pas faite.
Je pensais que le travail, même à domicile, serait une forme d’échappatoire
Je devais donc faire mon travail comme à l’accoutumée, mais aussi être institutrice, psychologue, faire la cuisine, alors qu’habituellement mes enfants déjeunent à la cantine… En plus, je vis dans un appartement de 80 m2, je n’avais donc pas de pièce pour m’isoler afin de pouvoir travailler tranquillement, je devais partager l’espace avec tout le monde, tout en gérant les devoirs…
Je pensais que le fait de reprendre le travail, même à domicile, tandis que les enfants seraient à l’école, même si ce n’était que le matin, serait une forme d’échappatoire. Mais c’est précisément là que j’ai senti que je n’y arrivais plus. Je me mettais encore plus de pression.
J’avais cru en effet que travailler de la maison allait me permettre de faire beaucoup de choses qu’auparavant je n’avais pas le temps de faire. Mais la réalité a été tout autre : j’avais encore moins le temps. J’étais très sollicitée par les enfants.
J’avais le sentiment de ne plus rien gérer
Je perdais complètement le contrôle, j’étais irritable, tout me dérangeait, j’étais fatiguée, je n’arrivais plus à suivre, j’étais débordée. Moi qui suis quelqu’un de très énergique, très active, très organisée et très structurée, j’avais le sentiment de ne plus rien gérer. Ma sensibilité était exacerbée : j’étais affectée par les cris des enfants, leurs demandes…
J’ai commencé à limiter aussi mes interactions avec mes amies parce que je me suis rendu compte que les conversations finissaient toujours sur ce que je ressentais, ce qui ne devait pas être agréable pour elles. Elles ont aussi leurs soucis, et je m’en voulais que les discussions se terminent sur mes problèmes alors qu’à la base il s’agissait de passer un bon moment ensemble.
Lorsque je me suis rendu compte de tout cela, j’ai été sincère et honnête avec ma patronne. Je lui ai annoncé que j’avais rendez-vous avec mon médecin généraliste afin de voir avec lui comment gérer cette situation, car je n’étais pas apte à décider moi-même. Mon médecin m’a conseillé de consulter un professionnel, ce que j’ai fait.
Il faut trouver du temps pour soi-même
Le suivi m’aide beaucoup. Rien que le fait de pouvoir en parler, d’expliquer la situation, soulage énormément. C’est délicat d’en parler à la maison parce que justement, on veut être fort pour tous les autres, pour les enfants. On ne veut pas leur montrer qu’on est fatigué, triste ou sensible. On ne pleure pas. Et puis, ce n’est pas avec les enfants qu’on va parler de ces problèmes.
Le professionnel que je consulte me donne aussi quelques tuyaux pour aller mieux ainsi que des choses sur lesquelles travailler. Je dois par exemple apprendre à dire non, à réfléchir au coût que va générer pour moi le fait de rendre tel ou tel service avant d’accepter. J’essaie d’intégrer des phrases comme «Pour pouvoir faire du bien aux autres, il faut d’abord que moi-même je me sente bien». Car on se sent parfois coupable de prendre du temps pour soi, on peut avoir l’impression d’être égoïste.
Pourtant, il faut trouver du temps pour soi-même. Ce n’est pas parce qu’on est maman qu’on doit être à 100 % là tout le temps pour ses enfants. Moi, j’aime beaucoup le sport, cela fait partie intégrante de ma vie. Je sors tous les jours, à vélo, courir ou simplement me balader. Cela s’est avéré encore plus nécessaire dans cette situation. Je ressors désormais avec mes amis, dans les limites imposées par le Covid, ce qui me procure vraiment beaucoup de bien.
On se met trop de pression, on s’oublie, et, à la fin, il faut payer la facture
Mon fils et ma mère sont partis en Espagne, ce qui me soulage un peu et me permet de retrouver un peu plus de temps pour moi et de calme, une certaine paix de l’esprit.
Mais c’est loin d’être facile. Un jour, on a l’impression que tout va bien, qu’on se trouve sur le bon chemin et qu’on va s’en sortir et le lendemain, on fait trois pas en arrière.
Je n’ai pas encore repris le travail, mon arrêt maladie a été prolongé. Le burn out n’est pas quelque chose qui se guérit en deux ou trois séances chez le psy. Il y a plein de choses qui ressortent de mon passé, de mon enfance, des raisons qui expliquent pourquoi j’agis comme je le fais. C’est une thérapie qui peut aller très loin.
Je connaissais le burn out professionnel – dans le secteur de la finance, il y en a beaucoup. Mais je n’avais jamais entendu parler du burn out parental ou familial avant d’en faire un. En fait, cela m’a paru complètement logique : vouloir tout porter sur ses épaules et essayer de faire en sorte que tout se passe bien pour tout le monde est juste impossible. On se met trop de pression à vouloir bien faire pour tout le monde, on s’oublie, et à la fin, on paie la facture. Il est important d’être conscient de son problème et de demander de l’aide aux professionnels, ils sont là pour ça ! C’est le seul moyen de s’en sortir.»
Entretien avec Tatiana Salvan