François Benoy, le rapporteur du budget de l’État 2021, compte mettre l’accent sur une transition écologique équitable. La cohésion sociale serait la clé pour relever les énormes défis qui se présentent au pays.
Impatient mais aussi conscient de la lourdeur de la tâche qui l’attend. C’est dans cet état d’esprit que François Benoy (déi gréng) aborde le rapport sur le budget de l’État 2021. Âgé de 35 ans à peine, il compte «apporter une vision plus fraîche» des pistes à emprunter pour résoudre les crises sanitaire, climatique, économique et sociale.
Selon le ministre des Finances, le projet de budget 2021 se résume à cinq priorités : investissements, solidarité, logement, durabilité et compétitivité. Vous retrouvez-vous dans ce cadre fixé par Pierre Gramegna ?
François Benoy : Il est important de rappeler que l’on est confronté à une crise du coronavirus qui nous est tombée sur la tête. Personne n’était préparé à ce genre de scénario. À la crise sanitaire s’ajoute désormais une crise économique. Le gouvernement et la Chambre étaient dans l’obligation de réagir, et ils l’ont bien fait. Ce qui compte aujourd’hui est de se préparer à l’avenir. Le budget reflète d’un côté les répercussions de la crise du Covid-19, de l’autre il se consacre aux autres crises auxquelles le pays doit faire face. Les défis liés au changement climatique, y compris la lutte contre la perte de la biodiversité, ne doivent pas être oubliés. Il en va de même pour le logement et, d’une manière plus générale, la répartition plus équitable des richesses. Le projet de budget livre de bons éléments de réponses. En tant que rapporteur, il sera de mon ressort d’approfondir la réflexion sur les pistes avancées.
Dans ce contexte très particulier, comment abordez-vous votre mission? En tant que jeune député, êtes-vous plutôt impatient ou quand même intimidé par la tâche qui vous attend ?
Il est clair que je suis très motivé à assumer cette tâche. Le travail de préparation est engagé depuis plusieurs mois. Le fait d’être un jeune député représente une chance. Cela me permettra de nourrir le débat avec des éléments qui concernent la jeune génération. C’est elle qui aura à supporter le plus lourdement les conséquences des crises multiples que nous vivons aujourd’hui. Mon avantage est de pouvoir apporter une nouvelle vision, plus fraîche, sur cette thématique et de figurer comme porte-parole des jeunes. On remarque très clairement qu’ils ont un tout autre point de vue sur la crise climatique et qu’ils ont la capacité de mettre plus que d’autres la pression sur le camp politique. Je ne peux néanmoins pas cacher que je suis plein de respect pour la tâche de rapporteur.
Vous avez tenu à rencontrer, en amont de la présentation du budget, des acteurs de la société civile. Quels enseignements sont à tirer de cet exercice ?
J’ai effectivement pu mener une douzaine d’entrevues en amont du dépôt du budget. Or je ne compte pas m’arrêter là. D’autres prises de contacts sont encore prévues. Ces dernières semaines, j’ai déjà pu échanger avec les jeunes activistes pour le climat, mais aussi avec des acteurs du secteur de la santé. J’ai aussi rencontré les représentants de l’agriculture, un secteur doté d’un énorme potentiel au vu de la grande demande pour des produits locaux. Tout cela me permettra d’obtenir une image complète des attentes de la société.
S’assurer que la société devienne plus équitable
Le rapporteur du budget 2020, Yves Cruchten, avait mis dans son rapport l’accent sur le bien-être. Quelle sera l’orientation principale de votre rapport ?
Je tiens vraiment à développer des pistes qui doivent permettre au pays de mieux se préparer à de futures situations de crise. L’objectif doit être de devenir plus solide en tirant les bons enseignements de l’actuelle crise sanitaire. Il importe d’investir dans l’avenir, que ce soit sur le plan de la santé, du climat ou du logement. La transition écologique doit aussi pouvoir pleinement jouer. Il faudra aussi s’assurer que la société devienne plus équitable. Sans cohésion sociale, il sera impossible de mieux se préparer à de nouvelles crises.
La durabilité a été tirée comme un fil… vert à travers la présentation du budget 2021. Le ministre des Finances a même qualifié le climat de priorité fondamentale. S’agit-il d’un simple effet d’annonce ou le budget comprend-il les moyens nécessaires pour avancer dans cette voie durable ?
La volonté d’avancer est clairement présente. Le gouvernement se dote de toute une série d’instruments dans le domaine du développement durable. Je citerais les investissements majeurs dans la mobilité, mais aussi la protection du climat. En même temps, il nous faut avancer sur le plan législatif. La loi climat mais aussi les nouveaux pactes climat et nature avec les communes se trouvent engagés sur la bonne voie.
La taxe carbone a été confirmée. Son introduction en 2021 est-elle justifiée au vu du contexte de crise ?
Le plus important est que tous les acteurs aient une prévisibilité. La tonne de CO2 sera facturée 20 euros en 2021, avant de monter à 25 euros en 2022 et 30 euros en 2023. Il revient à la politique de poser les jalons. L’économie et les gens doivent ensuite savoir quel sera l’objectif à réaliser. Il faut également créer les instruments nécessaires pour assurer la transition écologique que nous visons. Une réflexion que je compte développer dans mon rapport portera sur la suite qui sera à réserver à la taxe carbone après 2023. Il s’agira à nouveau d’une question de prévisibilité.
Certains observateurs estiment que le filet social qui accompagne la taxe carbone va anéantir son impact réel. Partagez-vous ce scepticisme ?
La transition écologique ne pourra réussir que si l’on parvient à impliquer tout le monde. Aujourd’hui, il faut avancer vers la neutralité carbone. Tout le débat autour de la taxe carbone va faire qu’elle aura un impact réel. On peut toujours estimer que le prix fixé par tonne n’est pas assez élevé. Bon nombre d’experts estiment toutefois que la taxe constitue bien une incitation au changement. La hausse des prix du carburant va se faire ressentir. Il est d’autant plus important de mettre en place une compensation sociale. Celui qui va décider de rouler beaucoup moins en voiture pourrait même toucher une sorte de bonus climat.
L’opposition continue cependant de marteler que la taxe carbone désavantagera les habitants des zones rurales, qui disposent d’une moins bonne connexion aux transports publics.
Le crédit d’impôt et l’allocation de vie chère vont s’appliquer à tous ceux qui ont des petits et moyens revenus, peu importe s’ils habitent en zone urbaine ou rurale. Il ne faut également pas oublier que l’essence et le diesel ne sont pas les seuls combustibles fossiles pris en compte pour calculer la taxe carbone. Le gaz et le mazout sont aussi à prendre en compte. Mais ce sont les personnes habitant loin des centres urbains qui profiteront le plus des aides pour le remplacement de leur chaudière au mazout, car dans les agglomérations la grande majorité profite déjà de chaudières à gaz ou est rattachée au chauffage urbain. Grâce à ces aides, les émissions de gaz à effet de serre et donc la taxe carbone vont diminuer. En parallèle, on travaille beaucoup sur l’amélioration de l’offre de transports publics en zone rurale. Dans un si petit pays que le Luxembourg, il n’est pas sensé de mettre en opposition les zones urbaines et rurales.
Le Luxembourg se montre très ambitieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Est-il toujours réaliste d’atteindre les objectifs fixés ?
Il nous faut évaluer en permanence les mesures prises. Le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) est un instrument qui trace clairement la voie à suivre. La loi climat va de son côté fixer la trajectoire à suivre pour les différents secteurs d’activité. Si jamais ces mesures s’avèrent être insuffisantes, il est évident que l’on devra en remettre une couche.
Il faut toutefois constater que l’Environnement est un des quatre ministères qui voient leurs moyens budgétaires baisser en 2021. L’enveloppe passe de 403 à 371 millions d’euros. Ces chiffres ne viennent-ils pas contrecarrer les grandes ambitions vertes ?
Il serait abusif de se limiter à ce seul chiffre. L’investissement global dans les mesures de protection de l’environnement et du climat va passer de 533 à 547 millions d’euros. Le Fonds climat sera doté de plus de moyens. Il en va de même pour le Plan énergie-climat, dont l’enveloppe va passer de 1,1 milliard d’euros en 2021 à 1,3 milliard en 2024. La commission de l’Environnement va toutefois analyser plus en détail ce chapitre du projet de budget.
On constate également que les moyens de la Coopération subissent une coupe de quelque 61 millions d’euros. L’enveloppe globale passe de 353,5 à 291,8 millions d’euros. Cette décision pourra-t-elle être soutenue par déi gréng ?
Une vague de solidarité exceptionnelle s’est fait ressentir lors de la crise sanitaire. Par contre, le Cercle des ONG constate une diminution des dons, car les gens ont plutôt tendance à soutenir des initiatives sur le plan local. Il est d’autant plus important de continuer à faire preuve de solidarité avec les pays les plus pauvres. Il sera donc nécessaire de suivre de près cette évolution, en dépit du fait que l’accord de coalition ancre le versement de 1 % du revenu national brut dans des projets de coopération. Une analyse plus approfondie devra encore être effectuée.
« Relance durable » et « croissance durable » semblent aujourd’hui des expressions rebattues. En insistant trop sur cette stratégie, ne risque-t-on pas de se retrouver avec une économie reposant sur le seul secteur des services ?
Je ne vois pas ce risque. Le ministère de l’Économie est désormais mis au défi de finaliser au plus vite le test de durabilité qui va servir de guide pour attirer les entreprises conformes à nos principes de durabilité. La base de notre politique industrielle repose toujours sur la stratégie Rifkin, qui est notamment venue à la conclusion de miser davantage sur l’économie circulaire. Son potentiel de développement est énorme.
Les moyens de construire jusqu’à 1 000 logements abordables par an
Le logement est un autre domaine qui stagne depuis longtemps. Les moyens inscrits dans le budget, y compris les premiers instruments fiscaux pour lutter contre la spéculation, sont-ils suffisants pour enfin avancer dans ce chantier majeur ?
Un montant record est investi dans le secteur du logement. Avec le Fonds spécial de soutien au développement du logement, on se donne les moyens de construire jusqu’à 1 000 logements abordables par an. Le budget destiné aux communes et aux promoteurs publics doit continuer à augmenter dans les années à venir. La mobilisation des terrains est tout aussi importante. La réforme de l’impôt foncier et une taxe sur la spéculation foncière sont également des nécessités absolues. Je compte thématiser dans mon rapport le besoin financier dont aura besoin l’État pour faire avancer la construction de logements sur les terrains vagues (NDLR : les « Baulücken »), mais aussi pour acquérir les 10 à 30 % de logements que les promoteurs privés devront à l’avenir céder à la main publique grâce au nouveau Pacte logement 2.0.
Le compromis trouvé pour refermer l’échappatoire fiscale du Fonds d’investissement spécialisé (FIS) était-il le seul possible entre les trois partenaires de coalition, en sachant qu’une véritable taxe sur la spéculation fait toujours débat ?
L’abolition de l’avantage fiscal sur les FIS dans le domaine immobilier est incontournable. En tant que déi gréng, nous plaçons de grandes attentes dans la réforme de l’impôt foncier. Selon moi, il nous faudra également élucider comment on pourra plus fortement taxer la spéculation foncière. La seule révision des FIS ne sera pas suffisante pour résoudre le problème du logement. Le retard qu’il nous reste à rattraper est énorme.
Les investissements record prévus dans le budget 2021 ont leur prix. L’État devra continuer à s’endetter. En tant que jeune député, n’avez-vous pas mauvaise conscience de laisser aux futures générations le soin de régler la note ?
Si on est obligé de contracter une dette, on le fait pour continuer à investir dans des projets utiles et durables. L’argent investi dans la mobilité, le logement ou la transition écologique va finir par profiter aux prochaines générations. Si nous renonçons aujourd’hui à produire ces efforts, la note qui sera à payer dans le futur sera encore plus fatale, car un manque d’investissements crée des retards au niveau des infrastructures. Dans les domaines du logement et de la mobilité, on voit à quel point il est difficile et coûteux de rattraper de tels retards. Au vu de la solidité de nos finances publiques, il est tout simplement opportun d’emprunter. Cela n’empêche pas une réflexion sur la durabilité des dépenses et recettes de l’État.
Entretien avec David Marques