Le Conseil national des finances publiques (CNFP) évoque dans son dernier rapport des zones d’ombre qui concernent notamment le solde de l’administration locale. Le gouvernement est invité à préciser sa copie.
Les chiffres bruts sont connus. Chute du Produit intérieur brut (PIB) de 6 % en 2020, très faible croissance de l’emploi (+0,7 %), nette hausse du chômage (de 5,4 % en 2019 à 6,7 % en 2020) et un déficit des finances publiques qui va dépasser les 5 milliards d’euros (8,5 % du PIB).
Le Conseil national des finances publiques (CNFP) a dressé son analyse comptable de l’impact prévisionnel de la crise du coronavirus sur le budget de l’État. Même s’il souligne que «les prévisions macroéconomiques demeurent entourées d’une incertitude encore plus élevée que d’habitude», une mise en garde est envoyée au gouvernement : la crise sanitaire «ne doit pas mettre en péril la soutenabilité budgétaire à moyen terme». La dette publique risque en effet de dépasser la barre symbolique des 30 % (lire ci-contre). Mais il ne s’agit pas du seul risque qui guette les finances publiques.
Le CNFP s’attend à ce que le ministre des Finances, Pierre Gramegna, apporte de plus amples prévisions et précisions lors du dépôt du budget 2021, en principe prévu en octobre. Une «étude de sensibilité» pour évaluer l’impact budgétaire de scénarios macroéconomiques alternatifs est ainsi recommandée. Dans ce contexte, le CNFP déplore que «le gouvernement n’a pas considéré le scénario (…) plus négatif établi par le Statec dans l’établissement des chiffres budgétaires» révisés pour endiguer l’impact de la crise sanitaire. Le Statec avait ainsi évoqué un recul du PIB qui pourrait atteindre 12,4 % en 2020 (au lieu des -6 % inscrits dans le budget) et une reprise de seulement 2,1 % en 2021 (au lieu des +7 % retenus).
Selon l’analyse dressée par le CNFP, reposant sur le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) que le gouvernement a transmis à la Commission européenne, le manque de prise en compte de scénarios alternatifs n’est pas le seul défaut que présente le budget pluriannuel 2019-2023, revu et corrigé par le ministre des Finances. Pour résumer : le Covid-19 n’explique pas tout. Le CNFP évoque en effet des zones d’ombre qui se situent «en principe hors de et avant la crise». L’administration locale, soit le budget réservé aux communes, est plus particulièrement visée.
Communes : un flou sur 352 millions d’euros
Dans le budget de l’État 2020, un solde positif de 340 millions d’euros était inscrit. Or en avril, deux semaines à peine après le début de la crise sanitaire, l’administration locale affichait un solde négatif de 12 millions d’euros. «Une explication concernant cette révision n’a toutefois pas été donnée», déplore le CNFP, qui considère cette différence de 352 millions d’euros comme un poids supplémentaire qui repose aujourd’hui sur les finances publiques, lourdement frappées par la crise sanitaire. Au départ, le budget pluriannuel 2019-2023 de l’administration publique (recettes et dépenses de l’État combinées aux soldes de l’administration locale et de la sécurité sociale) misait sur un surplus de 757 millions d’euros. Début avril, le gouvernement ramenait ce chiffre à 444 millions d’euros (-313 millions d’euros). «Cette différence résulte principalement d’une révision du solde des administrations locales (NDLR : -352 millions d’euros)», note le CNFP. À cette situation de départ s’est ajouté l’impact du Covid-19 avec en fin de compte un déficit de l’administration publique de plus de 5 milliards d’euros. La seule administration centrale pèse 4,9 milliards d’euros, mais les soldes de l’administration locale et de la sécurité sociale connaissent aussi une «nette détérioration».
Le budget des communes affiche désormais un solde négatif de 372 millions d’euros, soit 618 millions d’euros de moins qu’en 2019 (solde positif de 246 millions d’euros) et 713 millions d’euros de moins que le surplus initial de 340 millions d’euros pour 2020. La «perte non expliquée» de 352 millions d’euros n’est donc pas anodine.
Un autre bémol évoqué par le CNFP est que le ministère de l’Intérieur «ne fait apparaître qu’une dégradation de 417 millions d’euros du solde pour l’année 2020». Il s’agit du chiffre qui s’explique par la «révision à la baisse des prévisions pour les recettes fiscales» des communes. L’impôt communal (ICC) pour 2020 devrait ainsi se dégrader de 41 millions d’euros (-24,8 %) et l’apport du Fonds de dotation globale des communes de 382 millions d’euros (-17,4 %). Cette perte cumulée de 423 millions d’euros est légèrement compensée par la réduction de 5 millions d’euros (-25,1 %) à verser par les communes au Fonds pour l’emploi.
Bofferding annonce du soutien
Le CNFP invite le gouvernement à livrer de plus amples explications quant à la «dégradation du solde des administrations locales». En attendant, la ministre de l’Intérieur continue à calmer le jeu, soulignant que la situation financière des communes n’est pas si dramatique que cela. Hier, Taina Bofferding a annoncé à la sortie d’une réunion avec le Syndicat des villes et communes (Syvicol) que son ministère comptait «augmenter les subsides pour les équipements collectifs, et ceci notamment pour les communes dont la situation financière est moins bonne». «Ces subsides ciblés doivent encourager les communes à réaliser des projets d’infrastructures essentiels tels que la construction d’écoles», souligne la ministre.
David Marques
La dette publique pourrait dépasser la barre des 30 %
Il s’agit d’une règle d’or que la coalition bleu-rouge-verte s’est donnée : la dette publique ne doit pas dépasser les 30 % du Produit intérieur brut (PIB). La crise du coronavirus ne doit pas changer la donne. Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, l’a souligné à plusieurs reprises. Mais selon les chiffres présentées hier par le Conseil national des finances publiques (CNFP), le plan de rédémarrage de l’économie («Neistart Lëtzebuerg»), prévoyant des dépenses additionnelles estimées entre 700 et 800 millions d’euros, pourrait faire tomber la barre des 30 %. «Selon le principe de l’imputation mécanique, cette dépense devrait être financée par le recours à la dette publique», note le CNFP. Sans le plan de relance, la dette est supposée augmenter à 17 milliards d’euros fin 2020 (28,7 % du PIB) et 19,2 milliards d’euros fin 2021, soit 29,6 % du PIB.
En incluant les dépenses supplémentaires du plan de relance, la dette passerait à quelque 17,8 milliards d’euros (30 % du PIB) fin 2020 et 20 milliards d’euros, soit 30,9 % du PIB, fin 2021.