L’avocat Fränk Rollinger représente des restaurateurs, cafetiers et tenanciers de discothèque et de salle de loisir. Il compte bien, lors d’une réunion que lui a proposée le ministre des Classes moyennes, le faire fléchir notamment sur la question de la rétroactivité des aides financières.
Quelle a été votre réaction quand le Premier ministre a annoncé, mercredi dernier, une possible réouverture des terrasses le 7 avril ?
Je pense que c’est positif, dans une première phase. Parce que cela représente un espoir et une ouverture qui n’est certes pas totale. Le gouvernement agit progressivement et il faudra encore voir si cette réouverture des terrasses aura vraiment lieu, en fonction des chiffres sanitaires liés au Covid, qui semblent augmenter (NDLR : l’entretien a été réalisé jeudi). Si cela se fait, ceux qui ont des terrasses pourront travailler, mais ce sera certainement très difficile, et plus encore pour les restaurateurs que pour les cafetiers. De manière générale, cette annonce donne un peu d’espoir et permet aux gens du secteur de pouvoir retravailler et de retrouver une vie plus active. Après, il faudra voir comment, en fonction de la limitation du nombre de personnes par table, des horaires d’ouverture, etc., la clientèle va réagir. Et pour les restaurants, il sera possible de travailler à midi, mais impossible de faire un quelconque service réellement le soir. Et puis, au niveau de la gestion des approvisionnements, ce sera très sportif.
Ces horaires excluent d’office certaines catégories de commerçants associés à l’Horeca…
En effet, c’est bien gentil de vouloir rouvrir à 6h, mais qui va aller à 6h sur une terrasse ? Et puis, on oublie les boîtes de nuit ou encore les salles de loisir. De toute façon, ce n’est pas une obligation de rouvrir, car il faut déjà avoir une terrasse. Tous ceux qui n’ont pas de terrasse sont exclus de facto! Les salles de loisir ne vont pas installer un jeu de quilles ou de bowling sur une terrasse… et je ne vois pas des boîtes de nuit organiser des « journées disco » sur une terrasse en priant leurs clients de rester assis. Par ailleurs, certains restaurants, qui n’ont pas de terrasse à l’arrière, pourront éventuellement installer quelques chaises à l’avant. Mais la question qui se pose est : cela vaudra-t-il le coup de prendre du personnel spécialement dédié à la terrasse, pour quelques places assises ? Et là il faudra aussi voir avec les communes. La Ville de Luxembourg a déjà annoncé qu’elle était favorable à un élargissement des terrasses pour justement faire un geste et soutenir le secteur. Mais là où c’est impossible, ce ne sera pas possible !
Quand les créanciers reviendront, ce sera pour mieux achever les sociétés ensuite
Considérez-vous donc ces mesures comme insuffisantes, voire incohérentes ? Le gouvernement aurait-il dû aller plus loin ?
C’est peut-être un petit pas en avant, mais bon, la marche, elle, est très longue. Il y a certainement un proverbe chinois qui trouverait les mots positifs appropriés pour décrire la situation. Mais cela reste un premier pas. La vraie problématique, elle, se situe à un autre niveau : si aujourd’hui les restaurateurs peuvent faire cela sur une certaine période, quelle sera la suite si l’on reste dans la même logique que celle des aides actuellement accordées ? Eh bien, ils pourront survivre. L’autre problème reste encore et toujours celui de la rétroactivité des dédommagements ! Tout ce que fait maintenant le gouvernement, c’est bien beau, mais ça revient juste à maintenir les sociétés en vie maintenant, mais quand les créanciers reviendront, notamment les créanciers de l’État, pour réclamer les arriérés, ce sera pour mieux les achever ensuite.
Estimez-vous que cette mesure est avant tout symbolique et vise à calmer une certaine pression populaire ?
D’un point de vue psychologique, c’est important. Au niveau financier, par contre, cela ne va pas changer grand-chose, parce qu’il y aura des frais supplémentaires en termes d’exploitation, même s’il y a un peu plus d’argent qui va rentrer dans les caisses. Je pense que ces mesures sont plutôt à considérer comme étant un geste. Alors est-il pensé sérieusement ou juste pour faire taire ? Je dirais qu’il s’agit plus d’un symbole vers une normalisation de la vie. Il faut le comprendre comme cela. Et c’est aussi peut-être un test pour aller plus loin, après. Je pense que c’est surtout fait pour redonner l’envie à certains de retravailler et en vue de renouer un tout petit peu le contact entre les restaurants et leurs clients, dont certains sont fidèles depuis des années.
Quels retours avez-vous eus de la part de vos clients de l’ASBL Don’t forget us depuis mercredi ?
Ça va dans le même sens, ils perçoivent la situation aussi un peu comme ça. D’un côté, c’est quand même aussi positif de pouvoir montrer à la clientèle qu’ils existent toujours et de pouvoir remettre un peu plus les employés au travail. Après, ils doivent faire face à un casse-tête, c’est évident. En effet, une terrasse ouverte n’est pas forcément protégée et que faire, dès lors, si le temps est mauvais ? La gestion de la cuisine et des commandes de produits frais pose également question, tout comme le nombre de clients qui vont effectivement venir, aussi en fonction de la météo. Ce sont autant de choses compliquées à gérer et il y a le stress qui va avec. Cela étant, je me répète, il s’agit d’une avancée, même si c’est une petite avancée. Globalement, les sentiments sont donc partagés et dépendent évidemment aussi du type de commerce tenu.
Et quid des règles régissant l’accès aux toilettes des établissements ?
Les gens seront en terrasse, mais ils ont aussi le droit d’utiliser les toilettes de l’établissement qu’ils fréquentent. Alors combien de gens pourront aller aux toilettes en même temps ? Faudra-t-il mettre un employé supplémentaire qui fera le guide pour les toilettes ? Comment gérer ce point-là si certains ont une trentaine ou une quarantaine de clients sur leur terrasse ? Cela n’a pas été abordé par le gouvernement. Or on ne peut pas interdire à un client d’aller aux toilettes…
Avez-vous eu une réponse du ministre des Classes moyennes, Lex Delles, à votre dernière lettre revendicative ?
Oui, jeudi dernier. Cela dit, ce courrier dit que le ministre n’est toujours pas d’accord pour considérer la rétroactivité des aides financières. Mais nous gardons espoir en nous référant à la chancelière allemande, Angela Merkel, qui est revenue sur sa décision tout récemment (NDLR : la chancelière avait ordonné, entre autres, la fermeture des commerces pour le long week-end de Pâques avant de faire un rétropédalage). De plus, nous apprécions le fait d’avoir reçu une invitation de la direction des Classes moyennes au ministère de l’Économie (à une date qui reste à être fixée), et l’on espère bien en profiter en se mettant autour d’une table afin de rediscuter de différentes choses, dont les aspects pratiques applicables sur le terrain. Par contre, nous avons eu la confirmation, à travers sa réponse à une question parlementaire ainsi que dans la lettre qu’il nous a adressée et dans laquelle le ministre Lex Delles prend position, d’un fait bien moins positif : à savoir que lorsque les décisions relatives aux restrictions sanitaires ont été prises, il n’y avait vraiment pas de documents formalisés. Aucune étude n’a été réalisée. Les mesures ont donc été décidées après avoir été discutées à gauche et à droite, mais il n’y a rien de formalisé. Et cela me surprend quand même, parce que les données scientifiques et économiques, notamment, sont à la disposition du gouvernement. Donc, si je résume, prendre des décisions au sujet des entreprises sans se donner les moyens d’en entrevoir les conséquences aux niveaux financier et économique, respectivement au niveau des aides délimitées – ce qui était largement possible – au moins par rapport à la loi de décembre, est très surprenant et laisse quand même assez songeur, même si c’est toutefois honnête.
La décision de l’État ne se base sur aucun document formalisé
La position du ministre laisse « songeur », dites-vous, mais encore…
Dans l’absolu, la réponse est cohérente par rapport à la position du gouvernement, à savoir qu’il reste sur sa ligne. Cela dit, je n’ai pas obtenu beaucoup de réponses à mes différentes questions, car je pense qu’il ne peut pas répondre aux questions soumises. En effet, le gouvernement se contente de répondre que les aides financières pour le secteur sont suffisantes. Mais elles ne le sont pas. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation où deux opinions différentes s’opposent. De notre côté, nous pensons avoir une opinion plus réaliste, mais le gouvernement ne discute pas, car il ne le peut pas. Parce que face aux chiffres que nous avons annoncés, dans notre dernier courrier, il ne prend pas du tout position. Donc, en fait, il refuse pour l’instant de discuter en abrégeant au possible tout débat et en évitant tout débat. Car il y a une faille et le gouvernement n’a pas raison. Sa position reste certes cohérente, mais il s’agit d’une position qui n’est pas tenable de façon réaliste. Il est tout simplement faux de maintenir que les aides financières ont été suffisantes parce qu’elles ne le sont pas !
Quelle sera dès lors la suite ? Qu’allez-vous entreprendre ?
Madame Angela Merkel est revenue sur sa décision et a reconnu s’être trompée de direction. Donc, rien ne dit que le gouvernement ne comprendra pas qu’il se trompe. Et puis, il y a toujours cette possibilité de rencontrer la direction des Classes moyennes. Et l’on va tirer avantage de cette réunion pour, justement, s’entretenir avec elle. Mais si jamais sa position ne change pas, il ne restera qu’une seule possibilité : il faudra attaquer au tribunal pour obtenir satisfaction. On ne va évidemment pas déjà lancer une assignation avant cette réunion qui, je pense, se tiendra à relative brève échéance. Nous restons donc dans l’expectative avant de nous engager éventuellement dans l’autre voie, qui est celle d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation du préjudice causé. Car, je le répète, la décision de l’État ne se base sur aucun document formalisé.
Entretien avec Claude Damiani