Mécontent des conditions d’attribution du marché public du Large Scale Testing, le laboratoire privé d’analyses de biologie médicale Bionext Lab intente une action en justice contre l’État et la société Laboratoires Réunis.
Si le covid provoque dépressions, angoisses et désespoir dans la population, dans sa dimension économique, le virus a également amené des distorsions, au niveau des marchés publics notamment. Le Dr Jean-Luc Dourson, patron du laboratoire Bionext Lab, s’insurge contre ce qu’il considère comme une concurrence déloyale dans la réponse aux appels d’offres et donc par rapport à l’octroi des marchés publics dans le contexte de la pandémie. «Le libre choix» n’aurait pas été garanti dans l’attribution du marché du Large Scale Testing, qui revient aux Laboratoires Réunis. Le Dr Jean-Luc Dourson revendique «un traitement équitable, car la législation relative aux marchés doit être respectée». Des millions d’euros sont en jeu… «Le Large Scale Testing était un programme secret et nous n’avons jamais été concertés !», va jusqu’à dire le Dr Dourson.
Jean-Luc Dourson insiste sur le fait qu’il ne remet pas en cause le Large Scale Testing ni la gratuité des tests (à présent obsolète) : «Les enjeux pour nous se basent sur le passé, mais également sur le futur. Il y va de notre pérennité. Parce que si à chaque fois que des marchés publics sont confiés à un acteur unique et qu’on confisque à d’autres laboratoires la capacité de participer à ces marchés, il faut bien s’imaginer que se pose la question de notre survie. Est-ce que la volonté est de n’avoir qu’un seul acteur au Luxembourg, celui qu’on sélectionne sans lancer un appel d’offres ? Auquel cas, on va faire mourir les autres ? Bionext Lab n’a pas 50 % de parts de marché, mais autour de 22 %. L’objectif est de faire respecter les procédures, sinon cela ne sert à rien de se lancer.»
Le patron du laboratoire d’analyses fait valoir le risque financier pris pour prendre sa part à l’effort de dépistage : «Pour être en mesure de réaliser les tests PCR au début de la pandémie, l’investissement financier était de l’ordre de 1,5 million d’euros. Soit une somme substantielle qui ne s’amortit pas en un an. C’est une dette bancaire et il n’y a aucune aide de l’État. Sans cet investissement, nous n’aurions pas pu prendre en charge une partie de la population, avec tous les risques que cet investissement comportait.» Cela conduit cet homme en colère à relever que si «la santé n’a pas de prix, elle a un coût».
Au tribunal le 12 octobre
Concrètement, les conseils du Dr Dourson s’attaquent au ministère de la Santé, donc à l’État. Et, parallèlement, une action sera lancée au niveau de la Commission européenne, comme l’a spécifié Me Sébastien Engelen, du barreau de Bruxelles : «Il existe une incompatibilité avec le droit de la concurrence et la Commission est la gardienne des traités. Le droit de la concurrence est largement bafoué dans ce cas d’espèce, en présence d’un acteur dominant.» Au niveau national, la plainte portant sur la violation de la loi sur les marchés publics sera examinée par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg le 12 octobre. «Et nous espérons obtenir gain de cause, notamment par rapport à notre requête de dommages et intérêts», ont tenu à ajouter les conseils du Dr Dourson.
Le patron de Bionext Lab et ses conseils affirment aussi vouloir protéger le «consommateur, c’est-à-dire le patient». Nous sommes en présence d’une atteinte structurelle du marché, et qui paie au bout du compte ? Eh bien, c’est le contribuable, car lorsqu’on parle de tests gratuits… ils ne le sont pas au final. Il faut bien quelqu’un pour financer tout cela.»
Claude Damiani
«La loi a été violée, il y a matière à agir»
Quand on demande à Me Jean-Louis Dupont, du barreau de Barcelone, s’il est optimiste quant à un aboutissement
positif des actions intentées, l’avocat se dit «très étonné de la question». «Pourquoi devrions-nous avoir des raisons de ne pas être optimistes ? La justice luxembourgeoise est parfaitement indépendante et, oui, nous sommes extrêmement optimistes !» Un de ses confrères ajoute : «Si on lance une telle action, on part du principe que la loi a été violée. Il y a donc matière à agir légitimement aux niveaux local et européen.» Le Dr Dourson, pour sa part, explique s’être entouré d’autant d’avocats, «car chacun d’entre eux est expert dans un domaine précis pour traiter de cette affaire», laquelle a forcément de multiples dimensions territoriales.