Devant une juridiction luxembourgeoise, un avocat ne peut se présenter qu’en robe, sans autre signe distinctif. Ce nouveau règlement adopté par le conseil de l’ordre a été transmis aux quelque 2 500 avocats du pays moins d’une semaine après qu’une jeune juriste a refusé de retirer son foulard islamique lors de l’assermentation des nouveaux avocats.
La lettre adressée ce mardi 26 septembre à tous les avocats du pays par le bâtonnier de l’ordre en a fait rire plus d’un sous cape, ou plutôt sous robe puisque c’est de la tenue vestimentaire de la profession qu’il s’agit. Me François Prüm y informe ses confrères et consœurs d’un changement du règlement intérieur de l’ordre (RIO), précisant la manière dont les avocats doivent se présenter devant les juridictions.
Pour certains, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : bien que le bâtonnier s’en défende dans son courrier, ils sont convaincus que ce nouveau règlement a été pris dans la foulée d’un incident survenu le jeudi 21 septembre lors de l’assermentation à la profession d’avocat de quelque 80 jeunes juristes.
Parmi eux, une Française d’une trentaine d’années, remplissant toutes les conditions de diplômes et linguistique, se présente la tête couverte d’un foulard islamique. Me Prüm l’informe alors au cours d’un échange – que chacun décrit comme courtois – que les magistrats de la Cour supérieure de justice risquent de refuser son assermentation si elle ne le retire pas. Ce que semblent confirmer les magistrats consultés par Me Prüm. La jeune femme de confession musulmane refuse et décide d’elle-même de renoncer à son assermentation.
« Nous suivons la France »
Mardi, le bâtonnier informait les avocats luxembourgeois d’un changement du règlement intérieur, en insistant sur le fait que cela est «sans aucun rapport» avec cette affaire largement médiatisée.
«Difficile à croire», raille un avocat. «Pourquoi tourner ainsi autour du pot, alors que, sur le fond, les arguments de Me Prüm sont tout à fait fondés?», s’interroge-t-il.
«C’est un pur hasard», se défend pourtant le bâtonnier, assurant que la question figurait depuis deux mois à l’ordre du jour de la réunion du Conseil de l’ordre du 20 septembre. «En matière de règlement, nous avons toujours suivi la France. En 2016, le Conseil national des barreaux français a publié un rapport sur la question. Cela est parti d’un incident survenu à Paris quand un avocat a voulu plaider avec une kippa. J’ai soumis le rapport à mes confrères de l’ordre au Luxembourg afin que nous précisions mieux ce qui est possible et ne l’est pas. Ce point n’a pas fait débat, il a été adopté en cinq minutes», rapporte Me Prüm, ajoutant : «Franchement, je ne pensais pas être confronté au problème à peine douze heures après cette réunion.»
Symbole d’indépendance et d’égalité
Un hasard du calendrier donc, mais prouvant néanmoins l’actualité du sujet. La loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat est elliptique sur la question, indiquant : «L’avocat porte, dans l’exercice de ses fonctions judiciaires, la robe.» À l’origine, la robe, la même pour tous, symbolise l’égalité entre avocats et leur indépendance.
Si jusqu’à présent l’obligation de porter une «tenue correcte» devant les juridictions était présent dans le règlement de l’ordre, il a désormais été apporté les précisions suivantes : «L’avocat veillera à se présenter tête nue et en tenue correcte en toutes circonstances. (…) L’avocat ne peut porter ni décoration ni signe manifestant une appartenance religieuse, communautaire, philosophique ou politique.»
Ce texte sera publié au Journal officiel (l’ancien Mémorial) dans les semaines à venir. N’étant pas encore officiellement en vigueur le jeudi 21 septembre, il n’a pas été opposé à la juriste française.
Pas une attaque contre l’islam
Le bâtonnier trouve par ailleurs déplorables les réactions à son encontre sur des forums internet : «Tout un tas de gens écrivent que j’ai bien fait parce qu’elle était musulmane, mais cela n’a rien à voir. J’aurais agi de la même façon si elle avait porté le badge d’un syndicat ou d’un parti politique. Mais les mêmes qui me félicitent pour cela, m’attaquent parce que je demande que le luxembourgeois ne soit plus une langue obligatoire pour les avocats.»
En tout état de cause, le nouveau règlement de l’ordre rejoint ceux en vigueur en Belgique et en France. «À notre connaissance, nous n’avons jamais eu d’incident de ce type à Metz», indique-t-on au Conseil de l’ordre de la capitale lorraine. «En revanche, nous avons régulièrement des juristes qui nous appellent pour se renseigner sur le sujet.»
La jeune femme qui a refusé de retirer son foulard à Luxembourg la semaine passée faisait peut-être partie de ceux-là. Elle pensait «trouver plus de tolérance à Luxembourg», avait-elle dit lors de son échange avec Me Prüm, arguant qu’elle portait un foulard sur la photo d’identité jointe à son dossier. Sur la copie de sa carte d’identité, également jointe au dossier, elle est pourtant tête nue. Comme l’exige la loi française, inflexible sur ce point.
Fabien Grasser