Dans le domaine fiscal, une directive européenne bientôt transposée au Luxembourg met en péril le secret professionnel des avocats. Le barreau est monté au créneau jeudi après-midi et a demandé une dispense.
«Nous n’avons pas pour habitude de communiquer souvent», a indiqué jeudi François Prum, le bâtonnier sortant du barreau de Luxembourg. «Nous sommes préoccupés. On touche à notre ADN d’avocat, on touche au secret et cela met en danger le droit du justiciable.» Les avocats, comme les curés, les médecins et les journalistes, entre autres, sont soumis au secret professionnel. Ils n’ont donc pas le droit de révéler ce que leurs clients leur confient. Cela permet d’établir une relation de confiance. «La garantie du secret professionnel de l’avocat est indispensable pour le bon fonctionnement de la justice et constitue un principe fondamental de l’État de droit», selon le barreau qui n’a pas hésité à le faire remarquer dans un avis émis le 31 octobre dernier.
Or ce secret est malmené par le projet de loi luxembourgeois de transposition de la directive DAC6 qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration. Cette directive introduit en droit national l’obligation pour certains intermédiaires d’informer les autorités fiscales nationales de l’existence de structures transfrontalières de planification fiscale potentiellement agressives.
Cette obligation de dénonciation s’appliquerait entre autres aux banquiers, notaires et autres conseillers fiscaux, ainsi qu’aux avocats. Ces derniers étant couverts par le secret professionnel, la directive prévoit que les États membres peuvent accorder une dispense à l’obligation de déclaration en raison de ce secret. Ce qui est le cas des avocats.
La France et l’Autriche, entre autres, feraient profiter leurs avocats de cette dispense, tandis qu’au Luxembourg, on préfère les dénonciations anonymes.
Une disposition «disproportionnée»
Le projet de loi luxembourgeois prévoit en effet que «l’avocat devra informer les autorités fiscales, de manière anonyme, des éléments principaux du dispositif fiscal concerné, y compris par une référence à la dénomination par laquelle ce dispositif est connu». De quoi faire bondir les représentants des avocats.
Le ministère des Finances, responsable de la mise en œuvre du projet de loi, resterait sourd aux suppliques des avocats. Le projet devant être approuvé par les députés avant la fin de l’année, le barreau pointe l’urgence de la situation et juge cette disposition «disproportionnée». Une seule exception permet jusqu’à présent de briser le secret professionnel. Il s’agit de la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, à quelques exceptions près.
Les infractions sont pénales, ce qui n’est pas le cas des faits concernés par la directive DAC6, selon le barreau de Luxembourg. Autre argument avancé pour appuyer l’argument de la dispense : «Les autorités fiscales auront de toute façon les informations qu’elles recherchent par d’autres canaux, soit à travers une déclaration d’autres intermédiaires, soit à travers le contribuable lui-même.» Pas besoin des avocats comme informateurs!
Pour garantir l’obéissance des avocats qui pourraient ne pas dénoncer leurs clients ou auraient oublié de le faire, le projet de loi prévoit des sanctions allant jusqu’à 250 000 euros. De quoi scandaliser encore plus le barreau qui monte au créneau et sollicite que la dispense soit mise en place.
Sophie Kieffer