C’est un ponte dans le domaine spatial, à tel point que le Luxembourg est allé le démarcher pour participer à l’élaboration de son programme Space Resources. Pete Worden, retraité de la NASA, revient sur le rôle du Luxembourg dans l’aventure spatiale.
Expert reconnu des matières spatiales et scientifiques, le Dr Pete Worden, 72 ans, a dirigé pendant près de dix ans le centre de recherche Ames de la NASA, qui participe, entre autres, à la recherche de vie dans l’univers et au développement de systèmes de survie pour les futures missions dans l’espace.
Ancien général de brigade dans l’US Air Force, il a aussi été professeur de recherche en astronomie, en sciences optiques et en sciences planétaires à l’université d’Arizona. En 2016, Pete Worden a rejoint le comité consultatif de l’initiative nationale «Space Resources», chargée de définir un cadre de travail pour l’exploration et l’exploitation commerciale des ressources spatiales.
Pourquoi avoir accepté de poursuivre l’aventure spatiale au Luxembourg?
Pete Worden : Lorsque j’étais directeur du centre de recherches Ames de la NASA, j’ai eu l’occasion de rencontrer Étienne Schneider, alors ministre de l’Économie, qui m’a fait part de la volonté du Luxembourg d’élaborer un programme spatial et de collaborer avec la NASA. Nous avons eu de longs échanges notamment au sujet des ressources spatiales. Bien qu’il ait été sceptique au début, il a finalement été très enthousiasmé par ce thème, tout comme l’ensemble des autorités après un séminaire que nous avions organisé.
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Après que j’ai pris ma retraite de la NASA, Étienne Schneider m’a proposé de rejoindre le Comité consultatif du gouvernement dans le cadre de Space Resources. Le Luxembourg m’a paru un pays plein de promesses, j’ai donc acheté un appartement ici, et j’y réside désormais principalement. Je dirige par ailleurs la fondation Breakthrough Prize, une fondation qui n’est pas liée aux ressources spatiales mais qui s’intéresse à la recherche de vie extraterrestre. Le siège est en Californie, mais nos sponsors ont estimé que ce serait une bonne idée d’avoir un bureau européen donc nous venons aussi d’en ouvrir un ici.
Le Luxembourg est-il intéressé par d’autres domaines que les ressources spatiales, notamment la recherche de vie extraterrestre?
Ce n’est pas l’objet du programme mais il y a un intérêt scientifique, nous en discutons avec des universitaires ici. Mais comme des satellites sont fabriqués ici – et les satellites sont absolument centraux dans la technologie spatiale – c’est tout à fait possible que des compagnies luxembourgeoises soient impliquées dans ces recherches par le biais des satellites.
L’humain explore, c’est dans sa nature
Pourquoi est-ce si important d’exploiter les ressources spatiales ?
Pour la recherche scientifique, indubitablement. Par exemple, nous voulons progressivement installer de très grands télescopes sur la Lune, où il n’y a pas d’atmosphère, pas d’interférences. Nous pourrions alors tout simplement découvrir les secrets de l’univers! C’est possible d’apporter le matériel là-bas, mais cela reviendrait extrêmement cher. Il serait donc plus rentable d’exploiter les ressources que nous trouverions sur place pour construire les composants scientifiques. Il en va de même avec le carburant des véhicules spatiaux.
C’est aussi important sur le plan culturel et philosophique. L’humain explore, c’est dans sa nature. Dans les prochaines décennies, des humains devraient vivre de manière permanente dans l’espace. Il y aura donc une opportunité d’explorer des modes de vie différents, d’avoir une approche différente de la vie Je pense qu’au début ce seront des projets gouvernementaux, mais des groupes privés comme Space X ou Blue Origin envisagent déjà d’avoir des habitats dans l’espace. Sans compter qu’au cas où il y aurait un désastre sur Terre, l’espace pourrait représenter une solution de recours pour l’humanité. Il faudra donc des ressources spatiales pour tout cela.
Enfin, certains, à l’image du PDG d’Amazon Jeff Bezos, arguent que l’on pourrait utiliser les ressources spatiales pour rendre la vie sur Terre meilleure : héberger des centaines de millions de gens dans l’espace pour résoudre les problèmes de pollution ici-bas, développer des panneaux pour limiter l’impact des rayons du soleil sur la Terre, ou, comme c’est déjà le cas, utiliser l’imagerie satellite pour améliorer l’agriculture.
Selon moi, utiliser les ressources spatiales pourrait donc rendre l’exploration et la recherche scientifique moins chères, permettre aux hommes de vivre ailleurs et réduire les problèmes sur Terre.
Il ne s’agit donc pas d’aller piller des ressources pour faire de l’argent…
Il y aura sans doute des gens qui se feront de l’argent. Mais la plupart des gens que je connais travaillent pour ce en quoi ils croient et pour améliorer la vie des êtres humains. Et puis, on va surtout exploiter des ressources comme de l’eau, pas du plutonium ou des diamants !
L’exploitation des ressources spatiales ne risque-t-elle pas d’engendrer des conflits ?
Il y a un exemple intéressant : nous utilisons l’espace pour quelque chose qui a une très grande importance pour tout le monde, la communication. Dans les années 60, lorsqu’on a commencé à lancer des satellites, il y avait beaucoup d’inquiétudes, concernant la limitation des zones et des fréquences notamment. Mais il y a eu rapidement des accords, établis sous l’égide des Nations unies. L’espace maritime est, lui aussi, régulé. Cela peut fonctionner de manière tout à fait pacifique. Il faut juste y réfléchir en amont.
Les traités et principes des Nations unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique (NDLR : voir encadré) constituent sans doute l’un des plus importants traités internationaux que le monde possède, et il spécifie que les choses doivent être faites pour le bénéfice de l’ensemble de l’humanité. Le groupe de travail de La Haye est venu ajouter un certain nombre de principes au sujet de l’exploitation des ressources.
La prochaine étape, c’est de les discuter au comité des Nations unies, ce qui pourrait prendre cinq ou dix ans. Mais d’ici à la fin de la décennie, il devrait y avoir un certain nombre de protocoles établis, très similaires à ceux du domaine de la communication. Ils définiront par exemple, qui peut utiliser l’eau trouvée à tel endroit, pendant combien de temps, en quelle quantité, etc. Avec tous ces travaux, je suis assez optimiste concernant le fait que la situation sera stabilisée, ce qui minimisera les risques de conflits.
Mais pourra-t-on compter sur des pays tels que la Russie ou la Chine pour respecter ces traités?
Il semblerait que ces pays se dirigent vers des accords. Et il se trouve que le Luxembourg a eu ces dernières années d’excellents échanges avec la Russie et tout particulièrement avec la Chine. Le Luxembourg n’étant pas une superpuissance, il peut jouer un rôle très précieux dans les négociations, c’est plus simple pour lui de discuter avec ces pays que pour les États-Unis.
Le Luxembourg, c’est The place to be
Quelle place le « petit » Luxembourg peut-il tenir dans l’aventure spatiale, aux côtés de géants comme les États-Unis par exemple?
Il y a deux aspects. D’abord, comme dit précédemment, le Luxembourg peut avoir un rôle important dans les discussions, d’autant que ce n’est en général pas un pays qui fait polémique. Par exemple, si les États-Unis veulent discuter avec la Chine des ressources spatiales, il y aura d’autres dossiers qui devront être mis sur la table, comme Taïwan. Le Luxembourg peut lui discuter uniquement de la question spatiale et aboutir plus aisément à un accord.
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De plus, c’est très difficile d’entrer en contact avec les dirigeants de pays tels que les États-Unis, la Chine, etc. J’ai moi-même travaillé à plusieurs reprises à la Maison-Blanche, et je n’ai pourtant jamais rencontré le président. Alors qu’ici, je peux travailler étroitement avec les ministres clés. Il est donc possible de prendre des décisions beaucoup plus rapidement et plus facilement, ce qui séduit de nombreuses compagnies.
Pensez-vous donc que le rôle du Luxembourg dans le secteur spatial va s’amplifier?
C’est certain. Les autorités estiment d’ailleurs que ce secteur pourrait à terme représenter 10 % de l’économie du pays. Une illustration de l’importance croissante du Luxembourg dans le secteur : l’un des plus grands pavillons présents au Congrès international d’astronautique (IAC), qui s’est tenu fin octobre à Dubai, était celui du Luxembourg. Lequel ne se focalisait pas sur des programmes gouvernementaux, mais sur des projets industriels.
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Le Luxembourg est en effet déjà un leader pour rassembler les start-up et les industries qui se lancent dans l’aventure spatiale. Et cela va encore s’étendre. J’ai pu échanger avec des jeunes du monde entier – y compris des États-Unis! – qui sont impatients de pouvoir s’installer au Luxembourg car c’est plus simple pour eux de mettre en place leurs projets. C’est The place to be.
Tatiana Salvan
Un cadre
Pour réguler l’exploration spatiale, il est crucial d’établir des règles de conduite internationales. Les Nations unies ont établi des traités en ce sens dès les années 60, qui constituent la base du cadre juridique actuel. On y trouve notamment un accord sur le sauvetage des astronautes ou une convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux.
Les activités spatiales s’étant multipliées, les règles doivent l’être également. Un consortium international, le Groupe de travail de La Haye sur la gouvernance des ressources spatiales, a énoncé des lignes directrices sur l’extraction des ressources, qui serviront de base aux discussions à venir.