Friddens- a Solidaritéitsplattform Lëtzebuerg milite pour le désarmement nucléaire. Pour la FSPL, les armes atomiques sont «totalement superflues» et représentent une grande menace plus qu’un gage de sécurité.
Raymond Becker est militant au sein de la Friddens- a Solidaritéitsplattform Lëtzebuerg (FSPL), une plateforme créée en 2018 pour promouvoir la paix et la solidarité. Dans la lignée du Mouvement pour la Paix, la FSPL soutient la charte de l’ONU et toutes les conventions concernant les questions de migration, de statut des réfugiés et de lutte contre le racisme. Elle agit aussi, entre autres, en faveur du désarmement, notamment nucléaire, et de la diminution des budgets militaires.
Quelle est la situation actuelle en termes d’armement nucléaire ?
Neuf pays détiennent actuellement l’arme nucléaire dans le monde. D’après le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), un institut de recherche qui dresse chaque année un bilan en matière d’armes nucléaires, début 2020, nous comptions 13 400 armes nucléaires, dont 90 % environ sont détenues par la Russie et les États-Unis. Surtout, près de 4 000 d’entre elles sont prêtes à être utilisées dans un laps de temps assez court et 1 800 armes nucléaires sont «en état d’alerte avancée permanent», c’est-à-dire utilisables immédiatement ! C’est extrêmement dangereux ! Ce sont des ogives nucléaires américaines, russes, britanniques et françaises.
N’y a-t-il pas des garde-fous en matière de déclenchement ?
Pour ces 1 800 armes, quasiment pas ! Diverses études ont montré que nous avons déjà frôlé beaucoup de catastrophes et que nous avons échappé de justesse soit à un accident, soit à un déclenchement. L’ancien secrétaire à la Défense du président Kennedy, Robert McNamara, qui n’était pas un pacifiste, a lui-même déclaré que les États-Unis «étaient passés à un cheveu d’une guerre nucléaire sans même s’en rendre compte» et que s’ils étaient parvenus à l’éviter, c’était aussi grâce à la chance…
L’horloge de la fin du monde ou horloge de l’Apocalypse (Doomsday Clock en anglais), créée en 1947 au début de la guerre froide et mise régulièrement à jour par les directeurs de la prestigieuse revue américaine Bulletin of the Atomic Scientists de l’université de Chicago, affiche aujourd’hui minuit moins 100 secondes [23 h 58 min 20 s, NDLR], minuit représentant bien sûr l’apocalypse. Cette durée est variable. Par exemple, en 1991, à la fin de la guerre froide, elle affichait minuit moins dix-sept minutes, soit 23h43. Si aujourd’hui nous sommes si proches de la fin du monde, d’après ces scientifiques, c’est en raison de l’«incapacité des dirigeants mondiaux à faire face aux menaces imminentes d’une guerre nucléaire et du changement climatique». En effet, les traités encadrant la course aux armes nucléaires sont mis à mal, entre ceux qui refusent de s’y soustraire et ceux qui en sortent, comme les États-Unis, mais aussi parce que les bombes atomiques sont désormais beaucoup plus pointues.
Quelle puissance de destruction représentent ces armes ?
La bombe larguée sur Hiroshima («Little Boy») avait une puissance de 15 kt, c’est-à-dire 15 000 tonnes, et celle sur Nagasaki («Fat Man») de 20 kt. Or aujourd’hui, les missiles intercontinentaux américains les plus performants peuvent porter chacun jusqu’à huit ogives de 100 kt chacune, soit l’équivalent de 53 bombes d’Hiroshima ! On estime que la destruction serait 300 fois celle de la ville japonaise. Mais en outre, les puissances militaires sont en train de moderniser leurs armes : si elles ont moins de kilo tonnes, elles sont plus facilement utilisables et possèdent une plus grande précision de frappe.
Il faut aussi savoir que chacun de ces pays a une «doctrine» concernant l’utilisation de ces bombes. Ainsi, à l’exception de la Chine et de l’Inde qui ont une politique de non-emploi en premier, toutes les autres puissances ne nient pas envisager une attaque nucléaire, même en cas d’attaque conventionnelle. Nous espérons que ce point changera avec la nouvelle présidence américaine et que les autres pays suivront alors.
Des bombes sont d’ailleurs entreposées à Büchel, en Allemagne, à 50 kilomètres du Luxembourg…
150 bombes atomiques américaines sont déployées sur le sol européen, en Allemagne effectivement, mais aussi en Italie, en Belgique et en Turquie. En outre, la France en possède 290 et la Grande-Bretagne 215. Nous plaidons pour une «Nuclear weapons free Europe», une Europe – continentale, pas seulement l’UE – sans armes nucléaires. Celles-ci sont totalement superflues. Elles n’apportent pas plus de sécurité, au contraire.
Militez-vous également contre le nucléaire civil ?
Selon moi, il n’existe pas de nucléaire civil, car il y a toujours un lien extrêmement étroit entre le nucléaire soi-disant civil et le nucléaire militaire. Sans le nucléaire civil, il n’y a pas de nucléaire militaire, il faut donc l’arrêter également. Il faut d’ailleurs savoir que si les hommes de Néandertal avaient eu l’énergie nucléaire, nous aurions aujourd’hui encore des problèmes avec leurs déchets nucléaires.
L’entrée en vigueur le 22 janvier prochain du Traité de l’ONU sur l’interdiction des armes nucléaires, ratifié par cinquante États, peut-il changer la donne ?
Ce traité aura un impact, à l’instar de celui sur l’interdiction des armes chimiques, qui a eu des effets. Nous aurons dès lors un moyen juridique de discuter avec les responsables politiques, car il manquait un tel cadre juridique bannissant ces armes pour la Cour internationale de justice de La Haye. Maintenant, c’est fait. C’est extrêmement important. Ce traité est une étape historique alors que le risque nucléaire est en augmentation, que les principales puissances nucléaires renforcent leurs capacités de dissuasion en modernisant leurs missiles et tandis que toute cette architecture internationale de désarmement nucléaire se délite. Avec cette nouvelle norme internationale, il y aura des conséquences sur les futures discussions concernant le désarmement nucléaire, il devient acquis.
Peut-on réellement envisager un horizon sans arme nucléaire ?
Les dépenses militaires mondiales en 2019 étaient de 1 917 milliards de dollars, soit une augmentation de 3,6 % par rapport à l’année précédente. Or la paix, ce n’est pas seulement l’absence de guerre et elle ne se fait pas par les armes. Cet argent doit servir à autre chose. Pour résoudre les conflits, nous souhaitons le multilatéralisme, la diplomatie et des moyens civils. Comme l’ancien chef d’État soviétique et prix Nobel de la Paix Mikhaïl Gorbatchev l’a toujours dit : les discussions sur le désarmement vont être très complexes, mais on doit commencer à aller dans la bonne direction. Et grâce à ce traité de l’ONU, nous allons pouvoir le faire. Il y a quelques jours, lors d’un webinaire des Nations unies, une soixantaine de dirigeants ont discuté des propositions d’associations proches des Nations unies et se sont fixés l’année 2045 pour en finir avec les armes nucléaires. Ce sera l’année du centenaire des Nations unies. Le processus sera long, mais je pense que cet objectif est atteignable.
Entretien avec Tatiana Salvan
Puissances nucléaires
À ce jour, neuf États détiennent la bombe atomique : les États-Unis, qui possèdent approximativement 5 800 armes nucléaires, la Russie (6 375), le Royaume-Uni (215), la France (290), la Chine (320), l’Inde (150), le Pakistan (160), Israël (90) et la Corée du Nord (entre 30 et 40).