Accueil | Politique-Société | «Nous n’avons pas tous été exposés de la même manière au virus»

«Nous n’avons pas tous été exposés de la même manière au virus»


Dans une prochaine étape, les experts réunis lundi à Belval vont analyser de plus près la campagne vaccinale et plus particulièrement les catégories de la population qui refusent le sérum. (Photo : Julien Garroy)

Les résultats intermédiaires d’une analyse scientifique menée au Luxembourg démontrent que les résidents les moins bien lotis ont été le plus durement touchés par le covid. Explications.

Si l’on connaît les caractéristiques du virus, les premières conclusions de l’analyse scientifique sur les facteurs socio-économiques qui ont pu influencer la propagation du virus au sein de la population résidente n’ont rien de trop étonnant. À la base, ce sont les personnes les plus âgées, rapidement identifiées comme les plus vulnérables, qui ont été les plus durement touchées par le virus. L’âge n’a cependant pas été le seul facteur qui a eu une incidence sur la propagation du virus. La composition du ménage, les conditions de vie, le type de travail et donc aussi le revenu ont lourdement pesé dans la balance, comme l’explique le Dr Ioana Salagean, une des chercheuses du Liser (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) aux manettes de cette étude. La direction de la Santé, le Statec et l’Inspection générale de la sécurité sociale sont les autres partenaires de ce projet de recherche.

Le travail d’analyse repose sur les 16 premiers mois de la pandémie, soit du 1er mars 2020 au 31 juillet 2021. L’IGSS a joué un rôle primordial dans ce projet avec la mise à disposition des données pseudonymisées permettant de poser une grille socio-économique sur les infections, les hospitalisations et décès en lien avec le covid.

Grand ménage, intérim et Revis

Un échantillon de 69 949 personnes testées positives (12 % de la population) a été passé au crible. Quelque 4 000 personnes ayant contracté le virus (0,7 % de la population) ont été hospitalisées entre mars 2020 et juillet 2021. Elles sont 545 (0,09 %) à avoir été admises en soins intensifs. Jusqu’à fin juillet, 691 décès avaient été comptabilisés. Il est encore à noter que jusqu’à fin juillet 497 999 personnes (87 %) se sont fait tester au moins une fois.

Comme indiqué plus haut, l’âge et les antécédents de santé ont clairement joué un rôle dans cette pandémie. Mais en y regardant de plus près, il s’avère que les ménages comptant plus de quatre personnes et dont les membres travaillent – la plupart du temps en tant qu’intérimaire – dans les secteurs de la santé ou de la construction, ont été les plus durement touchés par le virus. Le personnel de nettoyage et les agents de sécurité, eux également engagés en première ligne, viennent compléter ce tableau. Un fil rouge est que les ménages touchant une aide sociale (Revis, allocation de vie chère) sont plus exposés.

Si le revenu annuel joue un rôle plus marginal dans le domaine des infections, ce n’est plus le cas pour les hospitalisations. Les personnes vivant dans des ménages avec un revenu annuel inférieur à 25 000 euros terminent plus souvent à l’hôpital après avoir contracté le virus. «Nous n’avons pas encore de véritable explication à ce phénomène», admet le Dr Salagean.

Des lacunes à combler

Le «cercle vicieux» qui veut qu’avec un revenu moindre il soit plus compliqué de mener une vie saine (alimentation, activités de sport et de loisirs…) pourrait être un facteur. «Corrélation et cause à effet ne sont cependant pas la même chose. Les conditions de vie peuvent être dans les deux cas un élément qui limite ou qui encourage la propagation du virus», met en garde la chercheuse du Liser.

Seule conclusion fiable à pouvoir être tirée de ces résultats intermédiaires : «Nous n’avons pas tous été exposés de la même manière au virus.» La phrase est signée du Pr Aline Miller, la directrice du Liser. Elle rappelle que l’objectif de l’étude est de combler les lacunes du système de santé luxembourgeois afin de garantir un accès aux soins équitable à l’ensemble de la population. «Les inégalités liées au revenu sont acceptables jusqu’à une certaine limite. Les inégalités par rapport à la santé, par contre, sont beaucoup moins tolérables. Il s’agit d’un enjeu vital pour la société de corriger ces inégalités, faute de quoi on risque une fragmentation de la société», souligne le Pr Miller.

David Marques

Royaume-Uni et Luxembourg, même combat?

Le ministère de la Santé s’est laissé inspirer par les travaux menés par le très renommé professeur en épidémiologie, Sir Michael Marmot, qui, depuis plus de 35 ans, compte parmi les leaders mondiaux de la recherche sur les inégalités en matière de santé. Lundi, le professeur anglais a participé par vidéoconférence au séminaire organisé à Belval pour présenter les conclusions de son étude intitulée «Build back better : The Covid-19 Marmot Review», publiée en janvier.

Parmi les résultats à retenir, on peut citer qu’une panoplie d’éléments vient démontrer qu’il existe une corrélation entre la pauvreté, les types d’emploi et de logement sur l’augmentation de la probabilité que des personnes contractent le virus ou tombent gravement malades. «Une pandémie ne fait que renforcer les inégalités existantes», introduit le chercheur. «Si vous faites partie d’un ménage à faible revenu, vous êtes plus susceptible de travailler dans une profession de première ligne. Vous êtes donc plus largement exposé au virus, ce qui signifie que les personnes les plus pauvres sont plus à risque de contracter le covid», poursuit-il.

Le professeur restera intégré dans le travail effectué par l’Institut de recherche Liser.