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« Au Luxembourg aussi, il y a du racisme et de l’antisémitisme »


L’historien Marc Schoentgen est vice-président du Comité Auschwitz. Il se félicite de la décision de l’État d’ériger un monument à la mémoire des victimes luxembourgeoises de la Shoah, et dresse un portrait sans concession du Luxembourg. Extraits.

On imagine que le Comité Auschwitz se réjouit de la volonté du gouvernement de créer un mémorial commémorant le souvenir des déportés luxembourgeois pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Marc Schoentgen : Bien sûr, on ne peut qu’être pour. Il manque en effet un lieu de commémoration pour les victimes juives dans la capitale. Maintenant, je ne sais pas quelle forme il aura puisque nous n’avons pas été consultés. Quelles informations portera-t-il? Quel sera le concept? Quel emplacement sera choisi? Je n’ai pas de réponse.

Justement, que préconisez-vous ?
En 2015, nous ne pouvons plus nous limiter à la conception d’un simple monument. C’est un langage de la deuxième moitié du XXe siècle. Il faut se demander quel message on souhaite passer aux générations futures. À mon avis, il faut mettre en place un concept pédagogique et une fondation à la mémoire des victimes juives, et ne pas se limiter à ériger une stèle.

Il existe de nombreux mémoriaux à la mémoire de la déportation à l’étranger, sont-ils de bons modèles ?

À Paris, tous les noms des déportés sont gravés dans la pierre. C’est une bonne idée mais cela pose pas mal de problèmes : il ne faut oublier personne et, parfois, certains noms sont en trop… À Berlin, il y a ce champ de stèles et un centre de documentation… Au Luxembourg, on ne peut pas avoir de monument d’une telle dimension mais c’est peut-être vers là qu’il faut aller. Ce lieu doit devenir un point de ralliement pour les familles des victimes. Il faut aussi qu’il informe les Luxembourgeois et les touristes de passage. Mais surtout, je ne voudrais pas que ce nouveau monument vienne occulter celui de Cinqfontaines, près de Troisvierges.

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Avez-vous l’impression que, d’une manière plus globale, la société d’aujourd’hui a tendance à oublier les horreurs qui se sont passées dans les camps de concentration?
Pas vraiment, non. Le rapport Artuso sur le rôle de la Commission administrative durant la Seconde Guerre mondiale montre qu’il s’agit d’un sujet actuel. Qui plus est, il intéresse le grand public : la presse en a beaucoup parlé. Quand je suis dans ma classe de lycée, à Ettelbruck, je sens que les élèves sont sensibles à ces questions. Ils savent très bien que la dernière génération qui a vécu les camps est en train de disparaître et qu’il ne faut pas oublier. Je me rends souvent à Auschwitz avec eux et je vois qu’ils sont touchés par ce qu’ils voient. Je suis donc optimiste et positif !

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En Europe, les nationalistes convainquent de plus en plus d’électeurs, tandis que le Luxembourg semble assez épargné. Comment analysez-vous la situation du Grand-Duché?
Ici aussi, il y a de la xénophobie, du racisme et de l’antisémitisme. Malheureusement, il y a toujours un certain pourcentage de la population qui pense comme cela. Cela fait partie de la société. La démocratie impose de faire avec ces gens-là… L’État, les associations et la société civile dans son ensemble doivent réagir à cela. Il faut toujours réagir. Bien que l’on ne parviendra jamais à éradiquer ces pensées, il ne faut installer aucune tolérance vis-à-vis d’elles.

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Entretien avec notre journaliste Erwan Nonet.

À retrouver en intégralité dans le Quotidien papier de ce mercredi 15 avril…