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Après le travail, difficile de décrocher


Pour beaucoup d'employés, rester connecté en permanence avec le travail est devenu banal. Mais pas sans conséquence. (illustration AP)

Avec l’avènement des smartphones et des connexions quasi infaillibles, il est désormais difficile de déconnecter une fois parti du bureau. Si certains n’ont pas ce problème, d’autres se sentent désormais obligés de consulter sans cesse leurs courriels et d’y répondre.

Le smartphone est souvent vu comme un avantage, car payé par la société, il permet d’économiser quelques dizaines d’euros par mois. Alors, difficile de dire non. Mais une fois l’outil en poche, il est plus compliqué de faire abstraction des communications professionnelles quand on quitte le bureau. Lorsqu’on interroge les employés de différents secteurs au Luxembourg, on s’aperçoit déjà que le téléphone n’est pas automatiquement fourni, il faut être déjà assez haut dans la hiérarchie.

Des clients pressants

Pour les autres, une fois la porte du bureau claquée, le travail s’arrête jusqu’au lendemain matin : «Je n’ai pas de téléphone professionnel et, de toute façon pas accès à mes courriels en dehors du bureau, sauf si mes collègues arrivaient à mettre la main sur mon téléphone privé, mais sinon, le travail reste au bureau», estime James qui travaille dans une banque écossaise. Arnaud, qui travaille dans l’informatique pour une société de télécommunications, a, lui, un téléphone de travail, mais aucune obligation de décrocher une fois chez lui, il ne le fait donc pas : «Décrocher son téléphone, c’est pour le cas où nous sommes d’astreinte, et cela est donc payé en conséquence.»

Si on s’imagine que ce sont parfois les managers qui mettent la pression sur leurs subordonnés, il s’agit en réalité plus souvent des clients. C’est le cas de cet agent de voyages qui est appelé à n’importe quelle heure du jour et de la nuit par ses clients : «Comme on s’est occupé de leur voyage, certains clients ont le réflexe de nous appeler pour le moindre détail plutôt que de voir d’abord sur place avec leur hôtel. Et comme ils ne se rendent pas compte du décalage horaire… Il faut parfois poser des limites.»

Même chose pour cet agent d’assurance dont les clients veulent lui déclarer des sinistres ou demander conseil à tout moment : «Je comprends la logique de nos clients, car il faut déclarer un sinistre rapidement, mais il faut rester dans le cadre des heures de bureau. Nous avons un centre d’appels pour les urgences. Ceux qui obtiennent mon numéro privé m’appellent à n’importe quelle heure ! Avec un nombre croissant de clients et de sinistres déclarés, je n’aurais plus aucune vie privée.»

Une «laisse électronique»

Côté patronat, on reconnaît un besoin d’équilibre : «Il faut que les employés puissent déconnecter sans que cela passe nécessairement par une loi, après tout, ce ne sont que des bonnes pratiques. L’employeur a tout intérêt à ce que son employé ne soit pas trop stressé ou sous pression. En Allemagne, dans certaines sociétés, les courriels sont bloqués dans le serveur à partir d’une certaine heure, et ce, jusqu’au lendemain matin. C’est parce qu’il a dû y avoir des abus. Je l’ai vécu dans un cabinet d’avocats à Paris. Quand je recevais un courriel à 4h du matin, je devais y répondre. Mais j’étais également payé en conséquence…», explique Nicolas Henckes, secrétaire général de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL).

Avocats et employés des Big Four (Deloitte, EY, KPMG et PwC) sont les plus concernés par cette connexion permanente au travail couplé à de longues heures de présence au bureau. Ce cadre d’une des Big Four l’admet à demi-mot : «Il m’arrive d’envoyer des courriels à mes subordonnés à 3h du matin, mais je ne m’attends surtout pas à ce qu’ils me répondent immédiatement. En général, on s’attend à ce qu’on réponde au courriel le lendemain matin. Cela dépend toujours des managers, bien entendu.»

Il est désormais entendu pour bon nombre d’employés que consulter ses courriels, donner des informations, faire avancer un dossier même pendant ses vacances est acceptable. C’est bien ce que regrette Nico Clement, membre du bureau exécutif de l’OGBL : «Comme on travaille en termes d’objectifs, le temps n’est plus compté et il n’y a plus de frontière entre temps de travail et temps de vie. Bien souvent, on emmène son ordinateur en vacances, finalement on travaille tout le temps ! C’est comme une laisse électronique. Sauf qu’il y a un véritable danger en termes de maladie liée au stress et de risque de burn-out.»

Audrey Somnard