Une enquête de l’université du Luxembourg révèle le retentissement de la pandémie sur le bien-être des habitants : sans surprise, leur santé mentale s’est détériorée.
Il y a 18 mois, alors que la crise sanitaire s’abat sur le monde, des chercheurs de l’université du Luxembourg regroupés autour de l’économiste Conchita D’Ambrosio se lancent dans l’étude de ses conséquences sur les individus. Mené en parallèle au Luxembourg et dans d’autres pays européens, leur travail donne aujourd’hui une base de données unique au monde.
Pour mesurer l’impact de la pandémie sur les populations, les scientifiques dressent un inventaire d’indicateurs qu’ils soumettent toujours aux mêmes personnes au fil des mois : «De cette manière, nous pouvons suivre l’évolution de leur santé physique et mentale, leurs conditions de vie et de travail, et leurs comportements», explique Conchita D’Ambrosio.
Le volet 2021 qui vient d’être publié révèle à quel point le virus a bouleversé les vies de chacun, avec son lot d’épreuves : 10 % des personnes interrogées ont ainsi dû affronter la perte d’un proche, tandis que 8 % disent avoir subi une perte importante de revenus et 4 % leur emploi. «Cette pandémie a clairement eu un impact négatif sur la condition économique et la santé mentale des individus», commente la professeure docteure. «Sur le plan économique, les premiers mois ont entraîné une augmentation globale du taux de pauvreté dans les pays. Heureusement, les réponses politiques ont permis de légèrement réduire les inégalités en bénéficiant aux plus précaires.»
L’action du gouvernement, et notamment les mesures de soutien aux entreprises ainsi qu’aux travailleurs, a directement impacté 8 % des répondants qui déclarent avoir bénéficié d’au moins une de ces mesures. Le modèle de fonctionnement classique de l’entreprise a été complètement remodelé en quelques jours pour coller aux consignes sanitaires : la moitié des répondants à l’enquête rapportent ainsi avoir expérimenté le télétravail au moins une fois depuis le début de la crise. Ils étaient 15 % à travailler depuis la maison en février 2020, puis 50 % en avril au moment du confinement, 27 % en août et encore 31 % cette année, au mois de mai.
Or, selon l’experte, le confinement comme le recours massif au télétravail, ont eu des conséquences négatives sur le bien-être des résidents : «Concernant la santé mentale, 20 % des personnes que nous avons interrogées font état de symptômes anxieux et dépressifs modérés à grave.» Des chiffres qui différencient le Luxembourg de ses voisins : «La population luxembourgeoise est légèrement plus anxieuse», ajoute Conchita D’Ambrosio.
Large soutien au gouvernement
Néanmoins, les enquêtes de 2021, réalisées en mars puis en juin dernier, témoignent d’une certaine embellie : «Nous constatons que, globalement, la qualité de vie des Luxembourgeois s’est légèrement améliorée lors de cette période, en partie grâce à l’évolution favorable des restrictions sanitaires et une accalmie sur le front des contaminations», observe Conchita D’Ambrosio.
Des mesures gouvernementales très largement suivies et soutenues et ce, depuis le tout début de la crise : selon l’enquête de mars 2021, pas moins de 69 % des citoyens faisaient confiance aux autorités pour gérer correctement cette période critique. Même sentiment positif par rapport aux services de santé : 76 % des personnes interrogées disaient avoir une confiance totale quant à leur capacité à faire face.
Une situation plus que favorable pour susciter l’adhésion à la campagne de vaccination initiée en début d’année. Parmi les répondants au printemps dernier, 64 % indiquaient avoir déjà été vaccinés, tandis que 22 % se trouvaient dans l’attente de leur rendez-vous au centre de vaccination.
Les chercheurs remarquent toutefois que 15 % des résidents refusent de se faire vacciner. Un chiffre assez haut qui fait craindre que, malgré les efforts d’information du ministère de la Santé et les dispositifs comme l’Impf-Bus ou la vaccination sans rendez-vous, cette frange réfractaire de la population persiste dans son choix.
Christelle Brucker
Comment définir le «nouveau normal»?
L’enquête de l’université du Luxembourg s’insère dans le projet européen COME-HERE (Covid-19, MEntal HEalth, REsilience and self-regulation) qui se poursuivra en 2022 auprès des mêmes personnes. Cette fois, le but sera d’étudier à quoi ressemblera exactement le «nouveau normal» d’un point de vue scientifique.
«Nous travaillerons autour de plusieurs grandes questions», annonce déjà Conchita D’Ambrosio. «Comment se présentera la vie après la vaccination? Le télétravail va-t-il disparaître? Les achats en ligne deviendront-ils la norme? Va-t-on assister à un exode des zones densément peuplées? Les autoentrepreneurs, qui ont vu leurs revenus largement amputés, pourront-ils se relever? Quelles seront les conséquences de ce « nouveau normal » sur la santé physique et mentale des gens? Sur l’économie?»
L’attitude des citoyens par rapport aux autorités sera elle aussi passée au crible par l’équipe de chercheurs internationaux pour évaluer l’impact de la pandémie sur la confiance accordée aux institutions.
L’économiste souligne également que, contrairement aux épisodes de récessions précédents qui ont frappé davantage les hommes, lors de cette crise sanitaire, ce sont les femmes qui ont davantage été touchées : elles sont, en effet, plus nombreuses à avoir perdu leur emploi, elles sont surreprésentées parmi ceux qu’on a appelé les «travailleurs de première ligne», elles se sont occupées davantage des enfants et des tâches domestiques, et ont souffert davantage de solitude, de dépression et d’anxiété. «Ces inégalités de genre seront-elles amenées à perdurer?», s’interroge Conchita D’Ambrosio.
«Enfin, nous souhaitons identifier les profils des individus qui ont été les plus résilients face à cette crise et savoir si ceux qui ont le plus souffert en termes de santé physique et mentale ont réussi à se rétablir.»
Tous les résultats de ces travaux seront communiqués au grand public, aux décideurs politiques, ainsi qu’à la communauté scientifique. «Nous avons aussi été sollicités par l’OCDE, la Banque de France et la direction générale de l’Emploi de la Commission européenne pour partager nos résultats sur l’évolution des inégalités de salaire et de la pauvreté pendant la pandémie.» Les publications du groupe de chercheurs sont en ligne sur le site suivant : pandemic.uni.lu.