Anne Calteux, la nouvelle représentante de la Commission européenne au Luxembourg, s’engage à prendre au sérieux les critiques qui sont dirigées vers l’UE. Pour mieux rebondir, il faudrait «revenir aux sources du projet européen».
De l’ombre à la lumière. Anne Calteux (47 ans), jusque-là bras droit de la ministre de la Santé, Paulette Lenert, et coordinatrice de la cellule de crise covid-19, occupe depuis mercredi le poste de représentante de la Commission européenne au Luxembourg. Un de ses objectifs est d’être à l’écoute des gens pour continuer à promouvoir au Luxembourg le projet européen.
Votre départ du cabinet de la ministre de la Santé, Paulette Lenert, a créé la surprise. Ces derniers mois, de supposées tensions entre le ministère et la direction de la Santé ont été évoquées. Est-ce que votre choix de changer de poste est-il lié à des distorsions en interne?
Anne Calteux : Ma décision n’a rien à voir avec une quelconque tension ou distorsion, des rumeurs que je ne peux d’ailleurs pas confirmer. La publication du poste de représentant de la Commission européenne avait tout de suite suscité mon intérêt. Au vu de mon vécu auprès des institutions européennes, il s’agit d’une suite logique dans ma carrière. À Bruxelles, je me suis engagée pour que la voix du Luxembourg soit entendue par la Commission et les autres États membres. Au ministère, je me suis engagée pour le bien-être des citoyens. Ces deux composantes se rejoignent dans ma nouvelle fonction. La ministre Lenert était d’ailleurs informée dès le départ de ma candidature.
Vous reprenez le flambeau de la Luxembourgeoise Yuriko Backes. L’intérim à la suite du départ de Mme Backes à la Cour grand-ducale a par contre été assuré par Stephan Koppelberg, un Allemand. Sachant que le poste de chef de la représentation n’est pas lié à la nationalité, votre origine luxembourgeoise a-t-elle constitué un avantage ou un inconvénient?
La nationalité constitue certainement un atout. Ma mission est d’échanger avec les résidents au Luxembourg. Le fait de connaître la population locale est donc important. J’ai aussi une bonne connaissance des rouages au Grand-Duché. Je sais à qui m’adresser pour obtenir rapidement des informations auprès des interlocuteurs principaux. Souvent, un simple coup de fil suffit. J’espère toutefois que mes anciens collègues vont continuer à me répondre (elle rit). Mais comme vous l’avez évoqué, il n’est pas obligé qu’un représentant de la Commission soit issu du pays où il est en poste. En Autriche, ce poste est actuellement occupé par un Allemand, et un Autrichien occupait cette fonction en Allemagne il y a quelques années. Ce qui compte, c’est d’être un bon communicant.
Jusqu’à présent, vous avez surtout travaillé en coulisses. Votre nouveau poste fait que vous allez vous retrouver en première ligne. Comment vivez-vous ce changement?
Tout au long de la pandémie, je suis en effet restée dans l’ombre. Lors d’une crise aussi sensible, il revient au seul ministre de communiquer vers l’extérieur. Par contre, du temps où j’étais en poste à Bruxelles et lorsque j’étais en charge de la coordination du volet santé lors de la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne de 2015, j’ai souvent été amenée à expliquer la position du Grand-Duché dans le domaine sanitaire. Je ne suis donc pas novice en la matière, mais comme pour toute nouvelle fonction, il y a un grand nombre de choses à apprendre.
Quelles sont les ambitions que vous vous êtes fixées en tant que nouvelle représentante de la Commission au Luxembourg?
Ma priorité est tout d’abord de faire connaissance avec mon équipe, chose qui n’est pas évidente en raison du télétravail, encore largement répandu en ce moment au sein des services de la Commission. Il nous faudra trouver un modus operandi pour travailler ensemble, nouer confiance et développer une stratégie de communication avec laquelle tout le monde peut s’identifier. J’ai beaucoup réfléchi aux accents que je compte apporter à ce poste. J’aime être à l’écoute des gens, sentir le pouls du public luxembourgeois, surtout des jeunes, en savoir plus sur leur niveau de connaissance de l’UE. Il est vrai que la société grand-ducale est europhile, mais il faut savoir admettre que des voix plus eurocritiques existent également. Il faut les prendre au sérieux. Je suis décidée à en savoir plus sur l’origine des critiques et adapter notre communication en fonction de ces échanges. Les annonces et messages émanant de Bruxelles doivent pouvoir être déclinés de manière adéquate pour s’adapter aux besoins du public local.
Pouvez-vous livrer un exemple plus concret de ce travail de communication?
La déclaration sur l’état de l’Union que la présidente von der Leyen va présenter le 15 septembre va constituer un moment important de communication. La mission de la représentation sera d’expliquer les répercussions des nouvelles annonces pour le citoyen et le pays. Il nous faudra communiquer très activement autour de ce discours, qui va aussi constituer la base du programme de travail de la Commission, et donc aussi de la représentation, pour les douze mois à venir. Mon équipe sera chargée de mettre l’accent sur les éléments qui sont particulièrement pertinents pour le Luxembourg.
Cet effort de communication peut-il contribuer à réduire le fossé qui se creuse entre l’UE et ses citoyens?
Je l’espère! Les avantages que l’UE apporte aux citoyens doivent être remis en avant. En tant que membre fondateur de la communauté européenne, le Luxembourg a toujours défendu les valeurs inscrites dans la déclaration Schuman. Il nous faut rappeler quelles sont ces valeurs, quelles sont nos origines et ce que l’Europe peut apporter au Luxembourg, un pays qui vit l’intégration européenne au quotidien. L’importante communauté étrangère qui habite au Grand-Duché est à considérer comme une richesse sur le plan économique et social mais aussi comme une véritable chance pour les jeunes qui habitent ici. Je souhaite encourager le public à revenir aux sources du projet européen pour mieux saisir les enjeux actuels.
Le récent déménagement de la représentation de la Maison Gilly, en plein centre-ville, vers le bâtiment Konrad- Adenauer, hautement sécurisé et situé au Kirchberg, ne risque-t-il pas de freiner votre ambition d’aller davantage à la rencontre du citoyen?
Le déménagement est temporaire. Fin 2024, la représentation va prendre ses quartiers dans le tout nouveau bâtiment Jean-Monnet II, toujours situé au Kirchberg, qui est aujourd’hui très bien relié au réseau du transport public. En attendant, nous travaillons très activement pour recréer un espace d’accueil et d’information pour le citoyen à proximité de nos nouveaux bureaux. Il est néanmoins encore trop tôt pour en dire plus.
Lancée depuis le 9 mai dernier, la Conférence sur l’avenir de l’Europe est un autre outil qui cherche à impliquer davantage le citoyen dans la construction européenne. Cette initiative ressemble toutefois à un concept assez abstrait. Comment remédier à cela?
Il est vrai que cette conférence n’est peut-être pas encore suffisamment palpable pour tous les citoyens. Mon objectif est d’accompagner cette campagne de manière plus proactive au Luxembourg. Le but de la conférence est que tout un chacun puisse soumettre ses propositions sur sa vision de l’Europe, afin de participer activement à la construction européenne et s’engager dans la vie démocratique en faveur d’une Europe à l’image de ses citoyens et des défis d’aujourd’hui. Ce processus participatif, ouvert à toutes les générations, doit permettre d’encourager l’adhésion du citoyen au projet européen. La Commission s’est engagée à donner un suivi aux diverses contributions ainsi recueillies. Dans les panels de discussion, les jeunes entre 15 et 25 ans se voient attribuer un seuil de participation de 30 %. La présidente de la Commission l’a bien compris : l’avis des jeunes est déterminant, et je partage entièrement cette perception.
Sans l’UE, les États membres ne seraient pas sortis aussi bien de la crise sanitaire
La querelle entre États membres portant notamment sur l’esprit de solidarité ne risque-t-elle pas de plomber la relance du projet européen?
Les temps sont difficiles. Cela bouge de partout. Avec la crise sanitaire, nous avons vu que les pays retombent très rapidement dans des réflexes nationalistes. La solidarité peut très vite s’estomper. Il me faut toutefois souligner que la Commission a su très bien rebondir et a investi beaucoup d’énergie pour que les États membres se concertent à nouveau davantage avant de prendre des mesures. Elle a débloqué des moyens impressionnants pour faciliter la sortie de crise au niveau européen.
La commande commune des vaccins anti-covid est un résultat de ce travail effectué par Bruxelles. Rapidement, des critiques sur la pénurie au début de la campagne de vaccination se sont toutefois abattues sur la Commission. Comment l’expliquer?
Certains ont critiqué la Commission d’avoir été trop lente pour sécuriser des doses de vaccins pour les pays de l’UE. Or aujourd’hui, la Commission a signé des contrats permettant de constituer un portfolio de vaccins très diversifiés et surtout en quantité largement suffisante non seulement pour ses citoyens, mais aussi pour ceux d’États tiers. C’est un bel exemple de solidarité. Dès le départ, la présidente von der Leyen a souligné l’importance d’une vision globale de la crise. Il ne faut pas perdre de vue que même lorsque l’Europe disposera d’une couverture vaccinale suffisante, cela n’est pas nécessairement le cas pour d’autres continents. Si nous voulons endiguer de manière durable cette crise, il faut tout faire pour que les doses parviennent aux pays qui sont dans le besoin. L’UE est résolue à assumer son rôle de leader au niveau global pour faire avancer l’initiative Covax (NDLR : initiative globale pour faciliter l’approvisionnement en vaccins et encourager une répartition équitable du sérum).
L’autre grande avancée est le programme de relance doté de plus de 700 milliards d’euros. Ce paquet peut-il contribuer à la réconciliation des citoyens avec l’UE?
Ficeler ce paquet de relance est le résultat d’une forte mobilisation réalisée en très peu de temps, grâce à l’initiative de la Commission, mais aussi au soutien amené par certains grands pays. Sans l’UE, les États membres ne seraient pas sortis aussi bien de cette crise. J’espère que les citoyens se rendent compte de l’effort consenti.
Il semble toutefois que le flux d’argent compte davantage pour certains États membres que le respect des valeurs communes. La crise migratoire ne fait que confirmer cette impression. La forteresse que cherchent à bâtir de plus en plus de pays membres ne constitue-t-elle pas une menace existentielle pour l’UE?
C’est difficile d’y voir clair. Les avis divergent fortement entre les États membres. L’aide humanitaire et la protection des droits de l’homme au profit des plus vulnérables sont une priorité. Le Forum de haut niveau sur la réinstallation des réfugiés annoncé par la Commission pour ce mois de septembre, constitue un pas dans la bonne direction. J’espère que la situation se décantera à cette occasion.
Une certaine inquiétude existe autour du statut de Luxembourg comme siège d’institutions européennes. Après la Chafea, agence européenne en charge des consommateurs, de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation, quel est le risque de voir d’autres unités de la Commission être rapatriées à Bruxelles?
Il faut nuancer. La Commission apprécie fortement le Luxembourg en raison de la grande diversité des institutions qui y sont implantées et qui jouent un rôle important dans le déploiement des priorités stratégiques de Bruxelles. Prenons par exemple le pôle numérique qui possède un grand potentiel. Le Grand-Duché peut proposer énormément de choses pour mettre en œuvre la transition numérique prônée par la présidente von der Leyen, notamment en ce qui concerne les supercalculateurs, les centres de données ou encore la blockchain. La Commission est décidée à déployer au Luxembourg du personnel hautement qualifié pour travailler dans ce domaine. Le pôle judiciaire est solidement ancré avec l’arrivée du parquet européen dont les effectifs vont encore augmenter d’ici à 2023. Le pôle financier compte depuis 2020 la direction générale du Budget qui joue un rôle primordial dans la gestion du plan de relance. N’oublions pas que le Luxembourg héberge aussi une partie de la DG Santé et le Comité de sécurité sanitaire, en charge de la coordination des efforts nationaux en cas de crise. En tant que nouvelle représentante de la Commission au Luxembourg, je suivrai les développements de très près, avec mes interlocuteurs au gouvernement en charge de ce dossier.
Jeudi, le gouvernement a annoncé la levée de la clause de résidence minimale de 5 ans pour les résidents non luxembourgeois qui souhaitent participer aux élections communales. Comment jugez-vous cette initiative?
Je me réjouis de cette avancée, d’autant plus qu’elle concerne aussi les élections européennes. Mieux vaut commencer petit pour que les gens puissent se familiariser avec le dispositif et se rendre compte quel peut être l’apport de la communauté étrangère. Espérons que cet assouplissement de la loi électorale puisse contribuer à renforcer l’intégration. Plus nombreuses sont les possibilités pour les non-Luxembourgeois de s’impliquer dans la société, plus la cohésion se portera mieux.
David Marques
Texte disparu