Depuis son déménagement de Bonnevoie à Hollerich, rue de la Fonderie, il y a trois ans, la Stëmm vun der Strooss accueille encore plus de monde. Normal, la structure sociale propose aussi plus de services qu’avant. Et il y a aussi plus de nécessiteux. Tour d’horizon de la situation au milieu de l’été.
Il y a une « action hiver » mais pas d' »action été ». La situation est-elle plus calme en cette saison?
Alexandra Oxacelay : Non, nous avons beaucoup de travail en été précisément parce qu’il n’y a pas les lits supplémentaires et les repas que l’on a pendant l’action hiver. Il y a actuellement une action qui a été lancée par Caritas et Inter-Actions, mais ce ne sont que 10 ou 20 lits alors qu’en hiver il y en a 80 au Findel et tout le monde sait où les trouver. Il manque aussi des endroits où les gens peuvent aller manger à l’heure de midi. Chez nous, les gens viennent déjà devant la porte à 10h30 alors que l’on ouvre une heure plus tard. Ils veulent être sûrs d’avoir une table parce qu’on ne laisse entrer que 118 personnes en même temps pour des raisons de sécurité qui sont imposées par le commodo.
Vous devez donc fermer les portes?
Oui, entre 11 h 30 et 14 h 30, les portes sont closes et des agents de sécurité doivent calmer des gens qui sont là parce qu’ils ont faim et ils ne comprennent pas pourquoi on ne les laisse pas entrer tout de suite. Ils râlent parce que les autres restent trop longtemps à l’intérieur, parce que certains ont un travail, d’autres un logement ou une voiture et estiment que ceux-là n’ont rien à faire là. Il n’y a pas de critères de sélection à l’entrée et on ne peut pas éviter les abus. Nous attirons aussi un public qui ne venait pas quand nous étions installés à Bonnevoie, par exemple beaucoup de Cap-Verdiens et d’autres ressortissants de pays africains, les prostituées qui ne venaient pas à Bonnevoie. Étant donné que nous offrons des douches et une buanderie, nous avons plus de services ici rue de la Fonderie donc plus de monde. En plus actuellement, la Badanstalt est fermée pour rénovation (NDLR : les thermes municipaux de la Ville de Luxembourg) et les machines à laver sont tombées en panne au Courage, le centre de jour-bistrot social à Bonnevoie. Donc tout le monde vient ici. Et nous n’avons aucun moyen de contrôler les abus. Mais on ne vient pas de gaieté de cœur faire la queue pendant une heure. Ceux qui viennent en voiture bien souvent dorment dans leur véhicule, c’est leur maison.
Pourquoi ne pas prolonger l’action hiver pour disposer de ces 80 lits toute l’année?
Je ne peux pas répondre à la place des décideurs politiques, mais on nous a fait savoir que cette mesure risquait d’attirer les gens, les inciterait à rester et on créerait ainsi un tourisme social. Mais ces gens sont là de toute façon et toute l’année. La pauvreté augmente, elle est partout dans tous les pays et la politique n’arrive pas à répondre dans les temps aux problèmes qui se posent sur le terrain. L’action hiver, ce n’est pas seulement les 80 lits mais aussi les repas servis au Dernier Sol par la Croix-Rouge. Or nous avons un gros problème à l’heure de midi devant notre porte. Le gouvernement, qui espère que les gens quittent le pays après l’hiver pour aller essayer ailleurs, se trompe. Et il y en a toujours des nouveaux qui arrivent.
Où dorment-ils alors en été?
Dans les parcs, à Bonnevoie, on les voit beaucoup au Dernier Sol. Il faut bien qu’ils dorment quelque part. Il y a moins de risque d’hypothermie en été qu’en hiver. Mais c’est une situation inadmissible dans un pays riche comme le Luxembourg. Les moyens sont là et si on le voulait, on pourrait cacher tout ça donc aider ces gens.
Quand vous dites que la pauvreté augmente, c’est parce que vous le lisez dans vos statistiques?
Je ne dispose pas des chiffres de 2017, mais ceux de 2016 étaient éloquents. Nous avons comptabilisé 71 420 repas servis à Hollerich et 28 710 à Esch, soit une augmentation de 36,7 % par rapport à l’année précédente. Si on a été obligés d’engager une société de gardiennage depuis novembre 2016, c’était parce qu’il y avait beaucoup de monde et beaucoup d’agressivité envers le personnel alors que la philosophie de la maison c’est son ouverture à tous, pas seulement à des personnes marginalisées, pour avoir un lieu d’échanges. Le fait de devoir fermer les portes a été une décision très difficile à prendre, cela nous a pris un an.
Entretien réalisé par Geneviève Montaigu
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