Au plus fort de la crise Ebola, en 2014, Luxembourg Air Rescue a pu rapatrier en toute sécurité du personnel soignant suspecté d’avoir contracté le virus Ebola. A cette fin, l’ASBL a mis au point un module garantissant à la fois la sécurité du personnel et de la population. Depuis, cette activité est mise à mal, faute de financement européen.
L’épidémie d’Ebola qui frappe la République démocratique du Congo depuis près d’un an, avec quelque 2 100 cas confirmés de malades atteints du virus, est la plus importante depuis celle qui a sévi en Afrique de l’Ouest en 2014. Cette dernière avait provoqué la mort de plus de 11 000 personnes, majoritairement en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone.
C’est à cette époque, au plus fort de la crise, que l’ASBL Luxembourg Air Rescue (LAR), répondant à un appel à l’aide de l’OMS, avait développé, dans un contexte de tension extrême, un module Ebola, une structure destinée à rapatrier le personnel soignant infecté ou suspecté de l’être.
« Il s’agissait alors de la plus grave crise Ebola depuis la découverte du virus en 1976, avec une particularité : elle touchait une zone urbaine et n’était plus cantonnée dans des petites zones rurales. Les services sanitaires étaient totalement dépassés », se remémore Didier Dandrifosse, infirmier de formation et chef du service médical de LAR. « Du personnel soignant a été envoyé dans les régions concernées, mais s’est alors posée la question de savoir comment les rapatrier en cas d’infection sans générer un problème de santé publique. La pression médiatique et politique était énorme, l’ensemble des populations était gagné par une véritable psychose. »
Un module à usage unique
Malgré la pression et en dépit du risque financier, LAR, en raison de sa dimension humanitaire, acceptera la mission. Une condition sine qua non toutefois : « Que tout soit réuni pour un transport en toute sécurité, aussi bien pour le patient que pour le personnel et la population en général. »
« On est parti de zéro. Il nous a fallu trois mois pour développer le module Ebola, qui est le fruit d’une véritable coopération européenne », rappelle Didier Dandrifosse, à l’origine du projet, parti de ce constat : « Le principal problème dans le transport d’un patient infecté, c’est la décontamination, car il y a des produits incompatibles avec les systèmes. Le plus simple est donc de ne pas contaminer dès le départ. »
Les équipes décident pour cela de vider complètement l’avion sanitaire de LAR, et mettent au point une tente à usage unique qui recouvre le fuselage. Avec ce système, le patient, amené à l’intérieur de l’avion via un tunnel et un sas externe, n’est en contact avec aucun élément fixe, la tente épouse même le brancard et est détruite à l’arrivée par une entreprise belge agréée.
Deux uniques missions en Afrique de l’Ouest
L’avion, un Learjet 45 XR, peut transporter, en plus du malade, deux pilotes, un médecin, un infirmier soignant et un «watchman», un infirmier qui guide le personnel au moment d’enfiler la combinaison anti-Ebola et de la retirer afin d’éviter toute contamination. C’est ce rôle qu’endossera Didier Dandrifosse lors des deux premières (et uniques) missions menées par LAR en Afrique de l’Ouest.
Car, aussi surprenant soit-il, l’aspect technique n’aura finalement pas été le défi le plus compliqué à relever, au contraire. «Ebola a en fait été le plus facile à gérer», s’est surpris à constater Dider Dandrifosse. Il en sera tout autre face à la machine administrative et politique.
Déjà, malgré l’urgence de la crise et l’ampleur européenne du projet, les premières autorisations de l’European Authority for Aviation Safety (EASA) ont tardé à être accordées, question de protocole.
Il a fallu ensuite obtenir celles de survol et d’atterrissage des pays traversés, ce qui n’était pas une mince affaire en pleine psychose mondiale. « Nos avions ne volent que quatre heures et demie. Il faut donc faire le plein sur le trajet. Les Affaires étrangères ont pas mal bataillé pour obtenir les autorisations nécessaires et les délégations internationales se sont succédé pour vérifier l’équipement. Le plus drôle, c’est qu’aucun pays européen, excepté l’Espagne finalement, n’a accordé d’autorisation. »
Afin de parer à toutes les éventualités, et pour rassurer les pays traversés, LAR avait même prévu dans son protocole qu’à chaque fois qu’un avion Ebola était dépêché, un second soit également équipé d’un module au Luxembourg, prêt à intervenir à tout moment.
Autre cacophonie improbable, l’Europe, qui souhaitait, à l’instar des Américains, disposer de son propre module Ebola, avait commandé 48 modules pour n’en finalement garder que 20. LAR n’effectuera que deux missions de rapatriement – deux cas suspects transportés au Royaume-Uni en mars 2015. « Après, la crise était passée. »
LAR et le Luxembourg se retrouvent donc avec seize tentes, à 15 000 euros l’unité, sur les bras, qui seront officiellement périmées en 2020 et 2021. « La résistance aux fluides corporels, à l’abrasion, les qualités d’extension, l’imperméabilité, l’inflammabilité des tentes ont été garanties jusqu’à ces dates. Nous devrons les renvoyer pour que l’entreprise les reteste ou les détruise. Mais la société qui les fabrique est anglaise. Que va-t-il se passer avec le Brexit ? », s’interroge Didier Dandrifosse.
Une intervention en RDC serait compromise
Mais le souci qui se pose pour LAR va bien au-delà. Car s’il est convenu que le Luxembourg avance le financement des modules et que l’Europe le rembourse ensuite, rien n’a été prévu pour le financement en continu des équipes qui utilisent ces systèmes. « Il manque littéralement une ligne concernant les coûts récurrents, ce qui fait qu’on refuse de nous accorder un budget. Et tous se renvoient la balle », tempête le chef du service médical de LAR.
Avec ces déboires, LAR pourrait-il intervenir en cas de problème en RDC ? « Sous réserve qu’on puisse former le personnel en amont », insiste Didier Dandrifosse. « Ebola n’est contagieux que lorsque le patient est symptomatique, ce qui laisse généralement un délai de 48 heures. Pour garantir la sécurité de tous, nous avons donc mis en place un protocole pour pouvoir décoller dans les 12 heures suivant la demande de rapatriement. Or, si le personnel doit être formé au moment où l’avion est appelé, ce délai n’est plus respecté, et on dégrade la sécurité de nos modules. »
Sans compter que pour se rendre en RDC, plus de pays devraient être survolés, trois « fuel stops » (arrêts pour faire le plein, ndlr) seraient nécessaires, qu’il n’y a pas de pistes pour rejoindre les zones actuellement touchées par l’épidémie et que la solution pour respecter le temps de vol des pilotes est un casse-tête inextricable lorsque des pays refusent qu’ils foulent leur sol…
Tatiana Salvan