Les avocats des trois ex-agents secrets, inculpés pour de supposées écoutes illégales, ont dès l’entame du procès du SREL insisté pour déclarer irrecevable les faits reprochés à leurs clients. L’ancien Premier ministre devrait être assis sur le banc des prévenus, clament-ils.
Longuement attendu, le procès du SREL s’est enfin ouvert ce mardi matin au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg. L’engouement était nettement inférieur par rapport au procès Bommeleeër, mais cela pourrait changer au vu des multitudes de chantiers ouverts dès l’entame des débats par les avocats de la défense. Même des révélations explosives ayant un lien avec l’affaire des poseurs de bombes ont été mises en perspective.
Les conseils des trois ex-agents secrets ont lourdement chargé l’ancien Premier ministre, Jean-Claude Juncker, cité comme témoin, mais aussi l’informaticien Loris Mariotto, qui s’est constitué partie civile et qui avait remis au SREL un CD crypté, ayant déclenché le psychodrame politique et désormais judiciaire auquel on assiste depuis 2012.
« L’affaire est piquante »
Les prévenus sont Marco Mille, ancien directeur du Service de renseignement de l’État (SREL), Frank Schneider, ancien chef des opérations du SREL, et André Kemmer, ancien agent secret. Au coeur de l’affaire se trouvent de supposées écoutes illégales menées entre le 26 janvier et le 29 janvier 2007. La cible était Loris Mariotto, qui clamait être en possession d’un CD crypté qui contiendrait un enregistrement d’un colloque singulier entre le Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker et le Grand-Duc Henri. Un témoin avait chargé le Prince Jean, frère du chef de l’Etat, d’être impliqué dans les attentats à la bombe, perpétrés dans les années 80 par les Bommeleeër.
« L’affaire est piquante au vu des liens supposés avec l’affaire Bommeleeër, le crash politique de Jean-Claude Juncker et les aspects politiques qui y sont liés. Mais vu stérilement, l’affaire possède une complexité minimale : est-ce que Jean-Claude Juncker a ordonné les écoutes? », souligne Me Pol Urbany, avocat d’André Kemmer. Lui se dit convaincu que le Premier ministre avait bien autorisé, dans le cadre d’une procédure d’urgence, les écoutes par le biais d’un téléphone portable menées sur Loris Mariotto. Me Urbany se base sur l’enregistrement de l’entretien entre Jean-Claude Juncker et Marco Mille, réalisé en date du 31 janvier 2007. Cet enregistrement, réalisé à l’aide d’une montre-bracelet et à l’insu de Jean-Claude Juncker, ne peut plus être poursuivi par la justice. Il y a en effet prescription.
« Des graves erreurs de procédure »
Tout comme Me Urbany, ses deux confrères, Me Laurent Ries, conseil de Frank Schneider, et Me Laurent Niedner, représentant Marco Mille, ont demandé l’annulation du procès en raison du dépassement du délai raisonnable. En outre, un « procès inéquitable », la « violation des droits de la défense », des documents « tronqués » et des « graves erreurs de procédure » ont été évoqués pour convaincre les juges d’annuler le procès avant l’ouverture des débats sur le fond de l’affaire.
« Le point de départ de l’enquête est un verbatim tronqué de l’entretien entre Marco Mille et Jean-Claude Juncker. La commission de contrôle du SREL s’est basé dessus pour dénoncer une possible écoute illégale. La Chambre du conseil en a fait de même. Cela a eu de graves conséquences », insiste Me Niedner.
« M. Schneider conteste toute responsabilité pénale dans le cadre des écoutes sur Loris Mariotto. Il n’y a ni eu participation, ni connaissance », affirme Me Ries, avant de préciser : « Le renvoi en correctionnel repose sur un doute exprimé par les juges. Il y est mentionné qu’il s’agit (NDLR : l’écoute) plutôt d’une décision prise ensemble par les trois prévenus ».
Schneider pourrait « déballer » sur les Bommeleeër
Après l’audience, Me Ries a fait un pas de plus, en annonçant que son client n’avait « pas confiance en la justice ». « Il veut que justice soit rendu, et ce sera le cas », ajoute l’avocat de Frank Schneider. « Il aurait des choses énormes à dire, et il pourrait les déballer, si nécessaire, lors de ce procès », conclut Me Ries, en laissant transparaître entre les lignes des liens avec l’affaire Bommeleeër.
Pour la défense, Jean-Claude Juncker, qui aurait omis de dénoncer l’écoute supposée illégale, et Loris Mariotto, auteur présumé de l’écoute illégale de l’entretien entre le Premier ministre et le Grand-Duc, devraient, plutôt que leurs clients respectifs, figurer sur le banc des prévenus. « Nous avons évacué tous les faits annexes liés à cette affaire. Le tribunal dispose de tous les éléments », réplique le représentant du parquet, Jean-Jacques Dolar.
Le même magistrat rejette l’invocation du délai raisonnable et le reproche d’un procès inéquitable. Il se dit cependant disposé à faire écouter lors d’une prochaine audience les enregistrements audio de l’entretien Mille/Juncker ainsi que celui d’un appel téléphonique Kemmer/Mariotto.
Une audition par vidéoconférence rejeté
Autre question évoquée ce mardi : la directrice du SREL, Doris Woltz, a demandé que l’agent S., cité comme témoin, soit auditionné par vidéoconférence tout en étant masqué, le tout afin de protéger son identité. Aussi bien les avocats de la défense que le représentant du parquet s’opposent à cette requête et veulent entendre l’opérateur technique du SREL à la barre.
Le dernier mot reviendra aux juges. La 12e chambre correctionnelle, présidée par Marc Thill, va statuer mercredi à 15h sur les « incidents de procédure » invoqués par la défense.
Jean-Claude Juncker était appelé à témoigner dès mercredi. Les enquêteurs de la police judiciaire, qui étaient censés être entendus ce mardi, n’ont finalement pas pu présenter leur dossier. Cela devrait être chose faite mercredi et du coup l’audition de l’ancien Premier ministre, lourdement chargé en ouverture du procès, risque d’être reportée.
David Marques