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[Affaire SREL] «Juncker devait être co-inculpé»


Marco Mille a t-il obtenu l'autorisation de Jean-Claude Juncker pour l'écoute incriminée ? La défense répond par l'affirmative tout en dégainant contre l'ancien Premier ministre (Photo : Didier Sylvestre).

Les avocats des trois ex-agents secrets inculpés pour de supposées écoutes illégales ont demandé l’arrêt du procès entamé mardi matin. Ils sont deux à fustiger le fait que l’ancien Premier ministre sera simple témoin.

Longuement attendu, le procès du SREL s’est enfin ouvert mardi matin au tribunal d’arrondissement de Luxembourg. L’engouement était nettement inférieur par rapport au procès Bommeleeër, mais cela pourrait changer au vu des multitudes de chantiers ouverts dès l’entame des débats par les avocats de la défense.
Les conseils de deux des trois ex-agents secrets notamment inculpés pour de supposées écoutes illégales ont lourdement chargé l’ancien Premier ministre, Jean-Claude Juncker, cité comme témoin. L’informaticien Loris Mariotto, qui s’est constitué partie civile, s’est également retrouvé dans le viseur. Il avait remis au SREL un CD crypté ayant déclenché le psychodrame auquel on assiste depuis 2012 et qui avait fait chuter le gouvernement Juncker en juillet 2013.
Les prévenus sont Marco Mille, ancien directeur du Service de renseignement de l’État (SREL), Frank Schneider, ancien chef des opérations, et André Kemmer, ancien agent secret. Les écoutes ayant visé Loris Mariotto ont été menées entre le 26 janvier et le 29 janvier 2007. Le technicien avait filé à son «grand ami», l’agent Kemmer, un CD qui contiendrait l’enregistrement d’un colloque singulier entre le Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker, et le Grand-Duc Henri. Principal sujet : l’affaire Bommeleeër et la possible implication du Prince Jean, frère de Henri.

«L’affaire est piquante au vu des liens supposés avec les poseurs de bombes et le crash politique de Jean-Claude Juncker. Mais vu stérilement, l’affaire possède une complexité minimale : est-ce que Jean-Claude Juncker a ordonné les écoutes ou pas?», souligne Pol Urbany, avocat d’André Kemmer. Lui se dit convaincu que le Premier ministre avait bien autorisé les écoutes sur Loris Mariotto, en se basant sur les propos tenus par Jean-Claude Juncker lors d’un entretien, le 31 janvier 2007 avec le directeur du SREL, Marco Mille. Ce dernier avait enregistré cet entretien avec une montre-bracelet, à l’insu de son chef hiérarchique.

Même s’il s’est plaint de ne pas disposer de l’enregistrement original, «retenu» par le parquet, Me Urbany se base sur ce même enregistrement, pour dégainer contre l’ancien Premier ministre : «Ce qui me dérange, c’est que Jean-Claude Juncker soit cité uniquement comme témoin. En tant que président du gouvernement, il était en première ligne pour garantir le respect de la loi» sur les écoutes menées par le SREL. «S’il n’a pas donné l’autorisation pour l’écoute, c’était lui le responsable pour régulariser la procédure», enchaîne-t-il devant la presse. Lors de l’audience, l’avocat s’était montré encore plus clair : «Jean-Claude Juncker devait nécessairement être considéré comme coïnculpé». Mais «il a sa propre responsabilité. Je ne veux pas le traîner outre mesure dans la boue.»
Me Laurent Nieder a lui préféré insister pour que Loris Mariotto soit inculpé : «S’il devait y avoir procès, monsieur M. (NDLR : il dira «je reste prudent» avant de citer le nom complet, Loris Mariotto) serait le seul à être assis sur le banc des prévenus.» Par contre, Me Laurent Ries s’est montré plus incisif. «Jean-Claude Juncker garde la responsabilité primaire», souligne l’avocat de Frank Schneider en mentionnant le fait que le Premier ministre aurait omis de dénoncer une possible illégalité à la justice.

L’enregistrement secret pourrait être diffusé

Dans son ensemble, la défense a demandé l’annulation du procès en raison du dépassement du délai raisonnable. En outre, la «violation des droits de la défense», des documents «tronqués» et de «graves erreurs de procédure» ont été évoqués pour convaincre les juges. «Le point de départ de l’enquête est un verbatim tronqué de l’entretien entre Marco Mille et Jean-Claude Juncker. Cela a eu de graves conséquences», insiste Me Niedner.
«Nous avons évacué tous les faits annexes liés à cette affaire. Le tribunal dispose de tous les éléments», réplique le représentant du parquet, Jean-Jacques Dolar. Le magistrat rejette l’invocation du délai raisonnable et le reproche d’un procès inéquitable. Il se dit cependant disposé à faire diffuser, sur demande des avocats de la défense, les fichiers audio de l’entretien entre Mille et Juncker ainsi que celui d’un appel téléphonique entre Kemmer et Mariotto.
La 12e chambre correctionnelle, présidée par Marc Thill, va statuer aujourd’hui sur les incidents de procédure invoqués par la défense.
Jean-Claude Juncker est appelé à témoigner cet après-midi. Les enquêteurs de la police judiciaire, qui étaient censés être entendus mardi, n’ont finalement pas pu présenter leur dossier. Cela devrait être chose faite aujourd’hui. Ce qui pourrait entraîné le report de l’audition de l’ancien Premier ministre.

David Marques

Le témoignage d’un agent par vidéoconférence contesté

L’autre question majeure évoquée mardi était le souhait de la directrice du SREL, Doris Woltz, de voir l’agent S., cité comme témoin, entendu par vidéoconférence tout en étant masqué, le tout afin de protéger son identité. Aussi bien les avocats de la défense que le représentant du parquet s’opposent à cette requête et veulent entendre l’opérateur technique du SREL à la barre.
Le dernier mot reviendra aux juges.

Lien avec les Bommeleeër : «Si mon client déballe…»

Frank Schneider (à droite) et son avocat laissent entrevoir des révélations explosives. À confirmer (Photo : Didier Sylvestre).

Frank Schneider (à droite) et son avocat laissent entrevoir des révélations explosives. À confirmer (Photo : Didier Sylvestre).

L’avocat de Frank Schneider a souligné mardi que son client n’avait «pas confiance en la justice». «Il veut que justice soit rendue, et nous allons l’obtenir», clame Me Laurent Ries.
Dans un premier temps, le conseil de l’ancien agent insiste sur le fait que «M. Schneider conteste toute responsabilité pénale dans le cadre des écoutes sur Loris Mariotto». «Il n’y a eu ni participation ni connaissance», clame-t-il, avant de préciser : «Le renvoi en correctionnel repose sur un doute exprimé par les juges. Il y est mentionné qu’il s’agit « plutôt » d’une décision prise ensemble par les prévenus.»
Frank Schneider ne compte cependant pas se fier à une défense classique. «Il aurait des choses énormes à dire, et il pourrait les déballer, si nécessaire, lors de ce procès», annonçait Me Ries dans les couloirs de la Cité judiciaire, en laissant transparaître des liens avec l’affaire Bommeleeër. «Il n’a pas peur. Il s’est retiré du Luxembourg et n’est pas lié à la fonction publique.
M. Schneider m’a remis un dossier dont je suis convaincu qu’il va lui permettre d’obtenir justice», introduit l’avocat. «Mon client décidera quand ce sera le bon moment pour déballer. Cela pourrait être la semaine prochaine ou en appel. En tout cas, on n’aura plus besoin de parler de délai raisonnable, mais il faudra tirer des conclusions tout autres», enchaîne Me Ries. Sa conclusion donne lieu à de nombreuses interrogations : «J’ai l’espoir que ni le tribunal ni le parquet ne vont se montrer naïfs. Si tel est le cas, cela pourrait fortement endommager notre communauté.»
D. M.