Non, cette chronique ne se penchera pas sur l’essai du même nom publié il y a exactement 100 ans par le philosophe allemand Oswald Spengler. Mais j’y pense à chaque fois qu’un investissement industriel ou commercial prévu à un moment donné au Luxembourg ne se réalise pas. Surtout en prenant connaissance des commentaires et des réactions des uns et des autres.
Des silos à Perl
Nous sommes en 2011. C’est la Lorraine qui exerce la présidence de la Grande Région. Le 21 avril a lieu la première réunion de la Commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière. Son nom est tout un programme. Le 31 mai, pendant le congé de la Pentecôte, le président de région Jean-Pierre Masseret organise un séminaire transfrontalier novateur à Pont-à-Mousson.
Le 7 juillet, Berlin accueille un Sommet informel de la Grande Région, rehaussé par le premier «Forum de la Grande Région», vaste foire citoyenne montée dans les jardins des représentations permanentes de la Rhénanie-Palatinat et de la Sarre auprès du Bund.
Est-ce que, pour autant, tout baignait pour la Grande Région? Ah que non.
Pour preuve, les cris de protestation, que dis-je, la levée de boucliers lorsque l’Agrarzenter, véritable institution luxembourgeoise, j’en conviens, a annoncé la construction d’un centre de stockage régional de l’autre côté de la Moselle, à Perl/Besch.
Sacrilège. Qu’est-ce qu’on a pu entendre et lire à droite et à gauche! Tous nos grands Européens et autres SaarLorLuxiens ont mis leurs casquettes de côté pour déplorer un choix somme toute raisonnable de la part d’une entreprise luxembourgeoise. Les mêmes, sans doute, qui se frottent les mains à chaque fois qu’une entreprise belge, française ou allemande décide de s’installer dans notre pays.
Même le Premier ministre s’en était mêlé. «Mir hu se jo net méi all», avait-il constaté, «Nous sommes vraiment fous», alors que l’investissement prévu à Perl avait tout son sens, tant économique que géographique.
Rebelote avec l’entreprise Knauf
Le fabricant de laine de roche Knauf a envisagé depuis déjà de longs mois d’ouvrir une nouvelle usine dans nos parages. Très tôt, deux sites sont entrés dans la course, à savoir un terrain situé sur le territoire de la commune de Sanem et un autre dans la mégazone départementale d’Illange-Bertrange, en Moselle, à un jet de pierre de Thionville.
Il est vrai que l’enjeu a été de taille : quelque 120 emplois directs promis, un investissement prévu de 110 millions d’euros, une capacité annuelle de production de 110 000 tonnes et environ 20 millions d’euros de retombées économiques par an si l’on peut croire Patrick Weiten, président du département. En voilà un qui est content maintenant. Le fait que l’industrie revienne sur le territoire nord-mosellan est une bonne chose, pour la Moselle, la Lorraine, le Grand Est et la Grande Région dans son ensemble.
Dès l’annonce de cette décision d’implantation, les réactions acerbes ont fusé de toute part. Le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, a facebooké que «les émissions, on va les recevoir par le vent venant de l’ouest» (notre édition du 1/6/18), alors que les emplois, les impôts et la TVA vont rester en France. Pour le vent de l’ouest, pas sûr qu’il sortira encore ses effets après avoir fait le tour du monde – il suffit de consulter une carte pour s’en rendre compte. Quant aux emplois, mais n’essayons pas de couper les cheveux en quatre, pas sûr qu’ils auraient été occupés par des résidents.
France 3, Luxembourg 0?
Nicolas Buck, le président de la Fedil, a estimé sur Twitter que le Luxembourg a perdu le match 3 à 0. Sur son blog, Carlo Thelen, en sa qualité de directeur général et chef économiste de la Chambre de commerce, a commencé tout en douceur («A priori, on pourrait se dire que, dans une optique transfrontalière et régionale, une implantation d’une nouvelle entreprise industrielle chez notre voisin français est une bonne chose») pour montrer un autre visage un peu plus loin : «Le pays des chemins courts (NDLA : c’est nous) a donné l’impression d’être plutôt un pays des impasses. Des intérêts particuliers (NDLA : sans doute ceux des habitants de la commune de Sanem) l’ont emporté sur l’intérêt général.» Question : qui définit l’intérêt général au Luxembourg?
Et ça continue : «Une certaine étroitesse d’esprit semble avoir été de mise.» Bref : si tu ne penses pas comme moi, t’es nul. «Nos concurrents se frottent les mains.» Et pourquoi pas, pour une fois. «Le let’s make it happen en a pris un coup.» Pas grave, il s’en remettra.
Est-ce que les Lorrains seraient moins regardants sur l’environnement que nous? Ce n’est pas sûr, mais ce n’est pas exclu non plus. Cette fois-ci la balance a penché du côté lorrain. Ne soyons pas mauvais perdants.
De notre directeur, Claude Gengler