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[Affaire du SREL] L’ex-agent Kemmer charge Bausch et Bettel


André Kemmer (à g.) soupçonne qu'une opération ciblée a mené à la chute de Jean-Claude Juncker (Photo : didier sylvestre)

Suite ce mardi matin du procès du SREL. Au-delà de la question de la légalité de l’écoute menée par les trois prévenus, cette affaire contient indéniablement aussi un volet politique. François Bausch et Xavier Bettel se retrouvent dans le viseur.

Il faut prendre les déclarations des uns et des autres avec des pincettes dans ce procès hors du commun, d’autant plus que plusieurs personnes chargées par les trois ex-agents du Service de renseignement de l’État (SREL) ne peuvent pas se défendre devant les juges. Mais la tactique de déplacer l’attention des infractions proprement dites est aussi une tactique fréquente dans toute affaire judiciaire.

Après l’ancien directeur Marco Mille et l’ancien chef des opérations Frank Schneider, passés vendredi à la barre, il était demandé ce mardi matin à André Kemmer d’«apporter toute une série de précisions» aux faits qui lui sont reprochés. «Je ne sais pas si on peut encore séparer cette affaire judiciaire avec le volet politique», a notamment constaté l’ex-agent.

Vendredi, Frank Schneider avait déjà chargé entre les lignes François Bausch, président de la commission de contrôle parlementaire du SREL en 2012, moment où l’enregistrement secret d’une conversation entre Marco Mille et le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a été révélé. «Je ne suis ni Premier ministre ni membre du gouvernement mais toujours le même homme d’affaires. À qui profite le crime ?», avait-il lancé en laissant transparaître entre les lignes que le désormais ministre avait un motif pour faire éclater cette affaire dans le but de faire chuter Jean-Claude Juncker, chef politique du SREL.

«Juncker m’a dit merci»

André Kemmer s’est engagé ce mardi matin sur la même voie. L’ex-agent n’est pas seulement celui qui a joué l’intermédiaire pour fournir au SREL le CD crypté – contenant un supposé entretien entre le Premier ministre et le Grand-Duc sur l’affaire Bommeleeër– mais c’est aussi lui qui a fini par «se confesser» à Jean-Claude Juncker. Dans la foulée de l’écoute menée fin janvier 2006 sur le nébuleux homme d’affaires Loris Mariotto, qui a remis le CD crypté à André Kemmer, le directeur du SREL a décidé d’enregistrer son briefing avec le Premier ministre.

«J’étais déchiré entre la loyauté à accorder à mes deux chefs. Cette affaire était comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je voulais m’en débarrasser et repartir de l’avant», souligne l’ex-agent à la barre. En 2009, il informe donc Jean-Claude Juncker de l’enregistrement réalisé à son insu. «Il m’a dit merci. Cela fut émotionnel. Il m’a même fait une embrassade. Car s’il était abattu, c’était aussi parce qu’il savait très bien qu’il avait des ennemis politiques.»

André Kemmer pensait être sorti d’affaire. «Mais en novembre 2012, tout le cirque a recommencé.» Il s’est dit «étonné». À la suite de ses révélations faites au Premier ministre, ce dernier n’aurait pas tardé à informer la commission de contrôle parlementaire du SREL. «Depuis décembre 2009, François Bausch était parfaitement au courant de l’existence de l’enregistrement Mille/Juncker ainsi que du CD crypté. Il estimait alors qu’il ne s’agissait pas d’un problème sécuritaire pour le pays», ajoute André Kemmer.

«Bettel m’a dit que cela ne pouvait plus continuer avec Juncker»

L’affaire allait pourtant «être réchauffée» en novembre 2012. «Après avoir obtenu en commission un briefing du nouveau directeur du SREL, François Bausch s’est présenté devant la presse, qui comme par hasard était présente, pour dénoncer les faits. Mais il a omis de dire qu’il était au courant depuis 2009.» Il est à noter que les journalistes sont régulièrement présents à la Chambre pour couvrir les réunions des différentes commissions parlementaires.

Xavier Bettel, devenu Premier ministre après la chute de Jean-Claude Juncker en juillet 2013, s’est lui aussi retrouvé dans le viseur de l’ex-agent. André Kemmer est revenu sur l’épisode de fin 2012 où il a consulté le député Bettel, alors membre de la commission d’enquête parlementaire sur le SREL. «Je voulais son avis comme juriste pour éviter que j’entrave la loi sur le secret auquel sont soumis les agents du SREL», affirme-t-il. «Cela s’est bien déroulé, mais deux phrases clés sont tombées. De un, Xavier Bettel m’a dit qu’il était au courant depuis 2009. Et ensuite, il m’a dit que cela ne pouvait plus continuer avec Jean-Claude Juncker, déjà affaibli par l’affaire Livange-Wickrange.»

André Kemmer suppose que la Chambre des députés, et plus particulièrement l’opposition verte et libérale, se trouvait à la base des fuites qui ont déclenché fin 2012 l’affaire du SREL. Il dénonce que «nous trois sommes traînés sur la place publique alors qu’on ne peut pas se défendre».

L’avocat de Marco Mille demande l’acquittement

Ce mardi, les plaidoiries ont commencé devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Me Niedner, avocat de Marco Mille, a demandé l’acquittement de son client. «L’écoute a été autorisée et ordonnée par le Premier ministre», a martelé le conseil de l’ancien directeur du SREL. Mercredi, les avocats de Frank Schneider et André Kemmer devraient à leur tour demander l’acquittement de leurs clients.

Le dernier mot appartiendra au parquet, qui aura la charge de convaincre les juges que les trois ex-agents ont mené une écoute illégale. Les autres infractions concernent notamment une entrave à la vie privée, la violation de la protection des données ainsi que des faits de détournement ou de recel.

David Marques