Le gouvernement a signé mercredi, avec les représentants de la communauté juive, un accord concernant les spoliations des biens de juifs apatrides ou étrangers venus se réfugier au Luxembourg.
Il y a eu 76 ans mercredi, le camp de concentration d’Auschwitz était libéré et le monde découvrait les atrocités perpétrées par l’Allemagne nazie à l’encontre, entre autres, de la communauté juive qui comptait ses morts, nombreux. L’ampleur du génocide, puis la honte collective ont éclipsé les destins individuels de ces familles décimées et, on le saura plus tard, spoliées de leurs biens. En 1950, le Luxembourg a voté une loi dédommageant les victimes du nazisme, mais celle-ci occultait les juifs étrangers et apatrides qui avaient fui l’Allemagne, l’Autriche ou les pays de l’Est à la suite de la promulgation des lois scélérates pour trouver refuge au Luxembourg. Leurs biens avaient été confisqués par la Gestapo. En 1940, il y avait entre quatre et cinq mille juifs au Grand-Duché, dont mille étaient d’origine luxembourgeoise. La somme des biens spoliés est inestimable et ces biens sont perdus à jamais.
Mercredi, le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et la communauté juive ont signé un accord relatif aux questions non résolues dans le cadre des spoliations de biens juifs liées à la Shoah. Un grand moment pour la communauté juive et pour les quelques survivants encore en vie. «Il était temps !», a indiqué le Premier ministre, Xavier Bettel. «Il n’est jamais trop tard, mais dans ce dossier, il n’aura jamais été trop tôt. (…) Il était temps de connaître et de reconnaître ses responsabilités. Reconnaître que les erreurs qu’une administration a commises par rapport à une communauté ne méritent pas seulement réparation, mais méritent également des excuses.» En guise d’excuses, cet accord, aboutissement d’un travail de mémoire du gouvernement qui, précise le Premier ministre, «n’effacera aucune souffrance, mais rendra de la dignité».
Un acte de reconnaissance
Cet accord met «fin à une terrible injustice, celle de l’exclusion des juifs étrangers et apatrides de toute mesure de réparation. Bien plus, il s’agit aussi d’une reconnaissance de leur terrible sort et donc du dernier acte de réintégration des juifs dans l’histoire du Luxembourg» après vingt ans de combat de la communauté juive pour y parvenir, estime François Moyse. Le président de la Fondation luxembourgeoise pour la mémoire de la Shoah est reconnaissant envers Xavier Bettel qui aurait œuvré pour la mémoire de la Shoah «comme aucun autre décisionnaire politique depuis la guerre». Et de citer les excuses présentées en juin 2015 au peuple juif depuis la Chambre des députés, l’érection du monument national aux victimes de la Shoah au Luxembourg en juin 2018 et la création de la fondation pour la mémoire de la Shoah en octobre de la même année, entre autres.
L’accord comprend un soutien direct aux survivants de la Shoah pour «rendre justice à une génération, tardivement mais encore à temps». La Fondation luxembourgeoise pour la mémoire de la Shoah bénéficiera d’un budget annuel de 120 000 euros sur 30 ans et sera chargée de missions supplémentaires telles que le soutien des sites du patrimoine historique juif qui ont un lien avec l’histoire de la Seconde guerre mondiale. Un centre éducatif et commémoratif sera créé au couvent de Cinqfontaines, près de Troisvierges, lieu d’internement et de tri avant la déportation. Le budget annuel du comité pour la mémoire de la Deuxième guerre mondiale est fixé à 65 000 euros. Un budget de deux millions d’euros sera mis en place pour la recherche historique. Des groupes de travail auront pour mission l’identification et la restitution des comptes bancaires dormants, des assurances – les banques concernées seront contactées par la commission de surveillance du secteur financier – ainsi que des œuvres d’art et des biens culturels.
Il s’agit d’ «un devoir historique que nous avons poursuivi inlassablement», commente François Moyse. «Déterminer quels sont les comptes bancaires et les polices d’assurance qui existent encore aujourd’hui, étant donné que les victimes ne sont pour la plupart plus de ce monde, c’est une autre mesure de justice historique. Ces fonds seront récoltés et transférés à la fondation afin que nous les utilisions pour poursuivre le travail de mémoire.» À moins que des descendants soient identifiés. «De plus, une stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme sera élaborée par le gouvernement luxembourgeois», a ajouté le Premier ministre.
Toutes ces mesures et les résultats qui en découleront devront, selon François Moyse, éviter que «plus jamais il n’y ait ce que l’écrivain hongrois Imre Kertész appelait des êtres sans destin».
Sophie Kieffer