Alors que l’accès à un logement décent et abordable est l’une des revendications phares de la grève des femmes organisée ce 8 mars à Luxembourg, une militante explique en quoi c’est une problématique féministe.
Entre les prix du marché immobilier qui atteignent des sommets – le prix moyen du mètre carré au Luxembourg est passé de 4 011 euros en 2010 à 7 564 euros en 2020, soit une hausse de 89 % en dix ans – et la pénurie d’habitations décentes et abordables disponibles – environ 30 000 unités manquantes – la crise du logement concerne l’ensemble de la population.
Or, les organisations regroupées au sein de la plateforme JIF (Journée internationale des femmes), qui manifestent aujourd’hui dans la capitale, tirent la sonnette d’alarme car dans les faits, les conséquences de ces entraves à l’accès au logement sont beaucoup plus lourdes pour les femmes.
Six fois plus nombreuses à temps partiel
«L’accès au logement est clairement une revendication féministe», tranche Jessica Lopes, militante membre de la JIF, engagée de longue date en faveur des droits des femmes, notamment à travers son travail d’assistante sociale à l’ASTI.
«D’abord, le simple fait qu’elles gagnent moins d’argent que les hommes – jusqu’à 7 % de différence de salaire annuel et 44 % sur la pension – complique les choses. Rappelons aussi qu’elles sont six fois plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel, une situation souvent subie, comme dans le secteur du nettoyage», rappelle-t-elle.
«Ensuite, 93 % des familles monoparentales du pays – dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté – sont des femmes avec leurs enfants. Et pour elles, le logement est une charge financière extrêmement lourde qui représente jusqu’à 42 % de leur revenu. Difficile dans ces conditions de parvenir à se loger convenablement», poursuit la militante, qui souligne que ces familles présentent un risque de basculer dans la pauvreté deux fois plus élevé que les autres.
La crise du logement aggrave aussi la situation pour les victimes de violences, réduites à choisir entre précarité et violence domestique. Là encore, ce sont des femmes qui sont majoritairement concernées – dans 60 % des cas, lorsque la police intervient.
«Ce qui se passe, c’est que les hébergements d’urgence, qui devraient pouvoir accueillir au pied levé les femmes victimes, sont saturés, car les femmes qui s’y trouvent ne parviennent pas à se loger sur le marché privé. Elles y restent désormais des mois, voire des années», rapporte Jessica Lopes, déplorant que trop souvent, les femmes qui n’ont pas les moyens sont forcées de continuer à vivre sous le même toit que leur agresseur.
Avec la crise du logement, signer un bail relève parfois du parcours du combattant, ou plutôt de la combattante, puisque les bailleurs ont tendance à préférer la candidature d’un homme face à celle d’une femme.
«Les propriétaires n’ont que l’embarras du choix lorsqu’il s’agit de louer leur bien. Or, le dossier d’une femme avec enfants qui travaille à mi-temps ne pèse pas lourd face à celui d’un homme seul au salaire plus élevé. Je ne parle même pas des difficultés énormes que rencontrent, dans ce contexte, les femmes qui cumulent les discriminations : en séjour irrégulier, migrantes, issues de la communauté LGBTIQ+ ou celles qui sont atteintes de handicap», déplore la militante.
Des solutions féministes face à la crise du logement
Pour résoudre ces problèmes qui touchent davantage les femmes, la JIF propose des pistes de solutions féministes, dont certaines spécifiquement ciblées, comme l’instauration d’un dossier de candidature «neutre» pour louer un logement, qui ne mentionnerait que les données utiles, comme les revenus, à l’image de ce qui se fait dans certains pays ou secteurs d’activité contre les discriminations à l’embauche.
La création d’une aide financière pour les familles monoparentales ou les victimes de violences pourrait aussi faciliter l’accès des femmes à un logement convenable, selon l’analyse des organisations militantes.
De manière plus globale, elles demandent l’inscription dans la Constitution du droit à un logement abordable et décent pour l’ensemble des résidents. «Un grand nombre de résidents n’a pas la nationalité luxembourgeoise, donc il est important que ce droit s’applique à tous, et pas uniquement à des personnes qui sont ici depuis cinq ans, cela ne correspondra pas aux besoins réels», pointe la jeune femme.
Elle défend également le plafonnement des loyers, pourtant déjà acté dans la loi, mais rarement respecté : «Non seulement cette obligation n’est ni appliquée ni contrôlée, mais lorsqu’un locataire tente d’obtenir gain de cause auprès de la justice, il est débouté, comme le montre une récente affaire», dénonce-t-elle.
En 2020, un locataire qui souhaitait voir son loyer baisser conformément à cette loi de 2006 – le loyer annuel ne peut excéder 5 % du capital investi – avait vu sa requête rejetée par le tribunal qui avait jugé son loyer adapté au prix du marché.
Dans l’élan de la grève des femmes, les militantes souhaitent désormais rencontrer des représentants de chaque parti politique et espèrent voir l’une ou l’autre de leurs revendications reprise dans les programmes électoraux l’an prochain.
Départ du cortège aujourd’hui à 17 h, place de la Gare, direction place d’Armes.
Les autres revendications de la Fraestreik
«Sans les femmes, la société s’arrête» : ce constat à l’origine de la grève des femmes (Fraestreik) est plus que jamais d’actualité après deux ans de crise sanitaire où elles ont été en première ligne. Les militantes seront dans la rue aujourd’hui pour réclamer «une véritable justice salariale», les femmes étant surreprésentées dans les métiers à bas salaire et aux conditions pénibles, «un temps de travail équitable» afin de mieux partager le travail non rémunéré au foyer et participer pleinement à la vie économique, sociale, culturelle et politique du pays.
Elles demandent aussi «un congé de naissance de trois mois pour tous et toutes», pour éviter aux jeunes mères de se retrouver seules à tout gérer avec un nouveau-né, et enfin, «une politique de lutte contre les violences» digne de ce nom. Plus d’infos sur le site de la JIF.
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