La ministre de la Santé, Paulette Lenert, défend les dernières restrictions sanitaires décidées par le gouvernement. Au bout de la deuxième année de pandémie, elle ne veut et ne peut plus exclure une obligation vaccinale généralisée. Des travaux préparatifs sont déjà engagés.
Elle est fatiguée, mais pas question de rendre les armes. Paulette Lenert affirme en cette fin d’année 2021, la seconde marquée par la crise sanitaire, avoir encaissé des coups durs.
Alors que le variant Omicron se montre de plus en plus menaçant, la ministre de la Santé n’a pas perdu son optimisme. La prudence lui impose toutefois de ne plus pouvoir promettre ou exclure des choses. Un nouvel appel aux non-vaccinés est lancé.
L’espoir était important au début de cette année avec l’arrivée du vaccin anticovid. Pensiez-vous alors que cette seconde année de pandémie allait s’avérer aussi compliquée que la première ?
Paulette Lenert : Mon espoir, ou plutôt mon souhait, était que la pandémie s’essoufflerait en fin d’année. Je ne pensais pas être confrontée à une telle vague d’infections en automne, générée par le variant Delta, ou à l’arrivée d’un nouveau variant virulent comme l’est Omicron.
Quel est le moment le plus difficile que vous ayez vécu lors de ces douze derniers mois ?
Les foyers d’infection dans les maisons de soins et de retraite étaient très durs à supporter d’un point de vue émotionnel. Les décès survenus vous touchent beaucoup. Les reproches et critiques qui ont fusé n’étaient également pas faciles à digérer.
Il a aussi été compliqué de résister aux pressions exercées pour lever les restrictions au moment où la tension sanitaire a baissé et de trouver le bon équilibre lorsque les chiffres sont repartis à la hausse. Il a fallu rester au-dessus de la mêlée pour pouvoir prendre des décisions en toute objectivité.
Une lueur d’espoir est intervenue au début de l’automne avec l’annonce qu’une couverture vaccinale de 80 à 85 % serait suffisante pour lever les restrictions.
Je dois admettre que cela fut un autre coup dur. Nous avions effectué une visite au Danemark et étions revenus avec beaucoup d’optimisme. On pensait avoir trouvé la bonne recette pour s’en sortir. Le moment où le chemin danois s’est effondré a été très dur à vivre. On s’est retrouvé à la case départ, alors que les gens sont extrêmement usés.
Peut-on encore aujourd’hui avancer un taux de vaccination qui permettrait de retrouver la normalité ?
Non. Au vu de la propagation rapide du virus, les experts sont d’accord pour affirmer qu’un taux de vaccination maximal ne suffit plus à lui seul. D’autres mesures sont nécessaires.
Surtout avec l’apparition du variant Omicron, plus personne ne souhaite vraiment s’avancer. Le moment est venu de se montrer humble.
Dans un premier temps, il avait été annoncé que deux doses du vaccin seraient suffisantes pour être immunisé. Désormais, une troisième dose s’impose. Pouvez-vous comprendre les interrogations, voire la frustration, des personnes qui ne s’y retrouvent plus ?
Oui, cela est tout à fait humain. Nous ne sommes pas habitués à subir une telle incertitude. Jusqu’à il y a peu, on n’était confronté ni à de grandes catastrophes naturelles ni à des pandémies.
Revenir à un testing renforcé équivaut à retarder l’échéance, alors qu’il n’y a plus de temps à perdre
Le coup du sort qui s’abat sur nous constitue une grande inconnue. Une fois cette crise sanitaire surmontée, il nous faudra mener une analyse approfondie des événements.
Encore jeudi à la Chambre, déi Lénk a réclamé la mise en place d’un plan à paliers pour donner plus de prévisibilité à la population. Un tel plan n’aurait-il pas permis de faire augmenter l’adhésion de la population aux mesures prises ?
Bon nombre de pays engagés sur cette voie ont entretemps fait marche arrière. Le virus est tellement imprévisible qu’une gestion sur base de scénarios prédéfinis est impossible. C’est la raison pour laquelle on n’a jamais fait ce pas au Luxembourg, aussi pour ne pas donner de faux espoirs aux gens.
Néanmoins, pour continuer à garder tout le monde à bord, il importe de prendre les décisions adaptées à l’état actuel des connaissances. Je pense que le chemin choisi, sans trop zigzaguer, a plutôt bien fonctionné. Et sans le soutien des citoyens, on ne se trouverait pas dans une situation qui reste gérable.
De nouvelles restrictions sanitaires sont en place depuis vendredi avec, à la clé, une pression encore renforcée sur les non-vaccinés. Si le nombre de premières doses a augmenté au fil des dernières semaines, le bilan reste mitigé. Qu’attendez-vous de ce coup de vis supplémentaire ?
Les mesures prises sont à la fois censées augmenter la sécurité sanitaire et inciter les gens à se faire vacciner. Il est un fait que les non-vaccinés sont exposés à un risque bien plus important de contracter le covid.
Si le virus se met à circuler massivement dans cette population assez importante, une surcharge des hôpitaux sera inévitable.
Il est donc assez logique que l’on accorde une plus grande normalité à ceux qui sont mieux protégés contre le virus. Le risque n’est pas à zéro, mais je le répète, il est moins élevé parmi les vaccinés et guéris.
On vous reproche toutefois le fait que l’introduction du 2G dans les loisirs et du 3G obligatoire au travail constitue une obligation vaccinale cachée. Cette critique est-elle justifiée ?
Il s’agit plutôt d’un confinement partiel pour les non-vaccinés. Cela crée forcément une pression pour se faire vacciner. D’un point de vue sociétal, il s’agit de décisions dramatiques, mais je ne vois pas forcément d’alternatives, si ce n’est de décréter un confinement pour tous.
Dans une démocratie, je trouve plus juste d’adopter une attitude différenciée aussi envers les gens qui ont décidé de sauter le pas et ainsi de faire preuve de solidarité.
Votre communication sur la campagne de vaccination fait débat. Des erreurs ont-elles été commises ?
Le défi est de parvenir à nouer un meilleur contact avec les différentes communautés du pays. On est en train d’évaluer avec les communes comment procéder. Il en va de même avec les cultes.
Nous étudions aussi le modèle appliqué à Brême en Allemagne, où grâce à des actions ciblées auprès de la population étrangère et des plus démunis, un taux de vaccination très élevé a pu être atteint. Mais il n’existe pas de solution miracle.
Imposer dès à présent une obligation vaccinale aurait certainement créé d’importants remous. Mais est-ce que cela n’aurait pas été plus effectif ?
Décider un confinement partiel pour les non-vaccinés et encore tout autre chose que de décréter une obligation vaccinale. Les gens ont toujours la liberté de ne pas se faire vacciner, mais ils doivent accepter de devoir renoncer à certaines activités.
Nous restons dans la logique de mesures graduelles. Une obligation vaccinale sera le tout dernier recours. Le faire dès maintenant équivaudrait néanmoins à sauter une étape, d’autant plus que de nouveaux vaccins sont sur le point d’arriver sur le marché.
Il n’existe donc plus un refus catégorique à une obligation vaccinale ?
Seule une situation d’urgence absolue pourrait précipiter les choses. Il nous faut garder à l’œil l’impact du variant Omicron. Au sein du ministère, on prépare le terrain, pour une obligation aussi bien sectorielle que généralisée. Par contre, d’un point de vue psychologique, il n’est pas idéal de mener un débat aussi crucial dans le climat tendu que nous vivons actuellement.
Mais si, en fin de compte, nous n’avons plus d’autre choix, une telle obligation équivaudra à un geste de solidarité. Dans cet ordre d’idées, une obligation généralisée serait peut-être à privilégier à une obligation sectorielle. Il ne suffit pas d’imputer la faute au seul personnel de santé. Tout le monde doit se montrer responsable.
Une autre critique majeure concerne le principe selon lequel les non-vaccinés devront payer leurs tests pour pouvoir aller travailler. Un retour à un dépistage à plus grande échelle, pris en charge par l’État, est-il exclu ?
Nous avons plusieurs armes à notre disposition. La plus efficace est sans aucun doute la vaccination. Le vaccin est une arme préventive alors que les tests ne permettent en rien de sortir de la boucle sans fin dans laquelle nous nous trouvons.
Revenir à un testing renforcé équivaut à reporter l’échéance. Ce serait accorder un répit supplémentaire alors qu’il n’y a plus de temps à perdre. Notre intention est donc clairement de promouvoir la vaccination.
Soit les mesures prises s’avèrent suffisantes pour que le virus devienne endémique (NDLR : virus provoquant des maladies plutôt bénignes, comme le rhume ou la grippe), soit il faudra encore serrer la vis.
La Fédération des artisans redoute un recours à des arrêts maladie abusifs pour contourner le Covid Check au travail. Comment éviter un tel scénario ?
Je veux croire à l’intégrité des gens. On ne peut donc pas présumer d’office que les médecins violeront leur serment. Nous sommes néanmoins préparés à identifier les certificats de complaisance. Cela vaut en tout état de cause, pandémie ou pas.
Dans les hôpitaux, la tension est telle que des opérations non urgentes doivent être déprogrammées. L’Association des médecins, l’AMMD, dénonce une décision unilatérale et exagérée. À juste titre ?
La cellule de crise se laisse toujours quelques jours pour observer comment la situation évolue. Les chiffres de la semaine du 6 décembre avaient déjà dépassé les seuils prévus.
Le besoin de déclencher la phase 3 et donc les déprogrammations s’est confirmé. Je ne comprends pas trop les critiques émanant de l’AMMD. Notre interlocuteur sont les hôpitaux qui prennent en charge les patients.
L’AMMD déplore aussi que le projet d’un hôpital covid ait été trop rapidement abandonné.
L’AMMD s’est retrouvée assez isolée sur cette question. Tous les autres acteurs impliqués, les hôpitaux en tête, en sont venus à la conclusion que ce modèle n’était pas une solution pour le Luxembourg. Un patient covid a besoin de soins très complexes.
Les équipes qui le prennent en charge sont hautement qualifiées. Ces mêmes personnes doivent cependant aussi s’occuper d’autres patients. Il est donc impossible de les retirer en bloc d’un hôpital pour les transférer dans un autre.
L’ADR est encore revenu à la charge pour fustiger le recul progressif de lits d’hôpitaux. Vous n’acceptez pas cette critique. Pourquoi ?
On mène un faux débat. Le problème majeur n’est pas forcément le nombre de lits. La limite est le personnel de santé. Malgré tout, notre capacité hospitalière est, aussi comparée à l’étranger, très solide. Lors de cette pandémie, nous n’avons pas encore été obligé de transférer un patient à l’étranger.
Mieux, il nous a été possible d’accueillir des patients venus de France et de Belgique. Pour le reste, il faut prendre en compte le virage ambulatoire. La tendance est clairement celle que le besoin en lits stationnaires diminue. Une nouvelle évaluation est toutefois à réaliser.
En 2022, des médicaments pour traiter le covid sont censés arriver. Par contre, une grande incertitude règne autour d’Omicron. À quoi vous attendez-vous pour cette troisième année de pandémie ?
Un médicament constituera une troisième arme, après les gestes barrières et la vaccination. Je pense que l’on pourra disposer d’ici au printemps d’une tout autre batterie d’instruments curatifs pour contrer le covid.
Même si j’ai appris à être plus prudente, je reste assez confiant pour la suite.
Entretien réalisé par David Marques
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