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2 000 ans plus tard, les fresques retrouvées


Ce visage féminin, à l'échelle 1/1, était peint sur une des lunettes de la villa. Un de ces grands espaces situés tout en haut du mur. (Photo : Erwan Nonet)

Depuis deux ans, les fragments des fresques de la villa romaine de Schieren sont étudiés par les spécialistes du Centre d’étude des peintures murales romaines de Soissons, en Picardie. Le résultat de leurs travaux prouve la richesse et le goût de l’exclusif de l’ancien propriétaire des lieux.

Le Grand-Duc a été impressionné par la qualité picturale des fresques et l’ampleur du travail accompli par les spécialistes de Soissons. Il faut dire que l’intérêt des scènes peintes à Schieren dépasse de loin le seul cadre du Grand-Duché, il se situe à l’échelle de la Gaule toute entière.

Le Luxembourg est un petit pays, mais la richesse de son patrimoine archéologique, et notamment romain, épate. Après Dalheim dont la plus grande partie reste à découvrir, après Vichten et sa villa dotée d’une magnifique mosaïque et de fresques murales spectaculaires (et dont une grande partie est encore sous terre), après Echternach et sa villa aux murs plaqués d’un luxueux marbre en trompe-l’œil, après la grande villa de Bertrange dont l’aire d’habitation reste à fouiller, après la villa de Diekirch sur laquelle s’est construite la ville moderne, voilà la villa de Schieren dont les derniers travaux démontrent l’opulence rare et majestueuse de son propriétaire.

Cette riche habitation romaine est connue depuis 2007, lorsque la construction d’un lotissement a exigé la planification de fouilles préventives. La pars rustica (l’aire de travail) de la villa est alors apparue. Six pavillons à vocation agricole (cellier…) ou artisanale (forge…) placés en deux rangées parallèles en direction de l’Alzette ont été dégagés. Selon le plan traditionnel des villas romaines, la pars urbana (où habitent le maître des lieux et sa famille) se situait donc au-dessus. À flanc de coteau de l’autre côté de la B7, donc. La réflexion des Ponts et Chaussées visant l’élargissement de la route à cet endroit a conduit les archéologues à fouiller la zone située sous l’emprise des futurs travaux. Comme attendu, en 2013, la villa est apparue.

Jusque-là, la découverte est belle mais pas encore incroyable : les villas romaines, au Grand-Duché, on connaît. Mais il se trouve que les chercheurs vont avoir le nez creux. Pour voir, ils décident de fouiller entièrement une petite pièce de 4,50 m sur 3,50 m. La villa, au total, est longue de 110 m. L’objectif de ce test est de déterminer l’état de conservation de l’habitation et l’intérêt – ou non – d’une fouille fine intégrale.

«Nous sommes tombés sur une pépite!»

Rapidement, les archéologues se rendent compte qu’ils viennent de mettre au jour un site rare. Dans la couche de destruction apparaissent des fragments de fresques dont certains portent des personnages admirablement peints. Le Centre national de recherche archéologique (CNRA) décide alors de s’adjoindre les services du Centre d’étude des peintures murales romaines (CEPMR) de Soissons, le seul laboratoire français spécialiste de ce type de travail. Pour cette seule pièce fouillée, ce sont pas moins de 380 caisses et 5 déposes de revêtements muraux, soit 2 tonnes de matériaux, qui seront analysées.

Ce sont les résultats de cette étude qui ont été présentés hier au Grand-Duc et à la délégation luxembourgeoise. Ils sont spectaculaires, une scène mythologique est même unique en Gaule. Sabine Groetembril, la directrice du CEPMR, n’hésite pas à affirmer : «Nous sommes tombés sur une pépite!»

Grâce à un travail précis tant lors du prélèvement des fragments sur le site (récolte par mètre carré) que lors de l’analyse qui réclame d’incroyables trésors de minutie et de patience, c’est toute l’élévation de la pièce (sur cinq mètres de haut!) qui est désormais restituée. Chaque fragment a été nettoyé puis numéroté avant que les archéologues du CEPMR ne reconstituent le puzzle.

Le décor de la pièce de la villa est complexe, il se compose de plusieurs éléments. Le niveau inférieur (près du sol) est constitué de compartiments noirs et rouges, bordés d’une bande jaune. La zone médiane, elle, est composée de panneaux rouges délimités par des colonnes peintes. Au centre de chacun d’eux est situé un médaillon à fond bleu de 50 cm de diamètre environ. Ces médaillons présentent chacun un personnage différent. «L’un tient un symbole d’éternité, un autre une couronne de laurier et un troisième une couronne de laurier doré, tous deux symboles de victoires», explique Sabine Groetembril.

Fleurs, feuilles, fruits et oiseaux

Surplombant littéralement ces panneaux, une corniche en stuc très travaillée a été fixée au mortier à l’aide de clous. «La frise est composée de motifs répétés représentant des feuilles, des fleurs, des fruits et des oiseaux qui picorent, précise la toichographologue. Le fond était vert alors que les fruits et les fleurs étaient peints en rouge.»

Encore au-dessus, sur un fond vert foncé parsemé de pétales de fleurs et de fruits, des amours (petits enfants dodus) batifolent. L’un porte un coffre à bijoux (il y en a beaucoup à Pompéi), un deuxième tient un miroir alors qu’un troisième est assis dans une position enfantine. Pour des Romains de l’Antiquité, des représentations sont explicites : «Les amours, le coffre à bijoux et le miroir renvoient à la déesse Vénus», éclaire Sandrine Groetembril.

La grande surprise de l’étude des revêtements muraux, c’est qu’elle a permis de définir la forme du plafond, ce que ne permet pas l’archéologie classique. «Le mortier est l’épiderme de l’architecture», illustre-t-elle. Le mortier peint est fixé sur une structure en tuiles creuses et la forme des fragments permet de retrouver les volumes originels de la pièce. Le plafond était ainsi constitué d’une voûte d’arête, «une façon de faire très rare en Gaule». Chaque petite voûte était ensuite décorée d’un médaillon représentant les saisons. Là encore, il s’agit d’un répertoire fréquemment utilisé à l’époque. «Le personnage au voile vert a permis cette attribution, explique Sandrine Groetembril. Il est typique de l’hiver.» Traditionnellement, l’automne est représenté par des raisins, l’été par le blé et le printemps par les fleurs.

Un Hercule qui file la laine!

La forme de la voûte a permis de dégager des lunettes, de grandes parois au sommet en demi-cercle. Leur taille a permis aux artistes de peindre des mégalographies, des scènes en taille réelle. L’une d’elles a pu être identifiée, il s’agit d’un Hercule représenté en train de… filer de la laine! On reconnaît le héros mi-homme mi-dieu grâce à sa massue et sa peau de lion «Il s’agit d’une scène très inhabituelle, mais il existe dans la mythologie un passage où Hercule se retrouve dans cette position, explique la responsable du CEPMR. Après avoir été ensorcelé par Héra, Hercule tue sa femme et ses enfants. Les dieux le contraignent alors à servir pendant une année la reine Omphale, qui se joue de lui. Les spécialistes de l’iconographie antique interprètent cette scène comme étant érotique, il s’agit d’un jeu de domination féminine sur l’homme. Ce passage de la mythologie est très rarement représenté, il s’agit même du seul connu en Gaule. Il faut aller à Madrid ou Pompéi pour trouver des comparaisons.»

Bien que l’état de conservation des fresques ne soit pas toujours optimal, la qualité intrinsèque des œuvres est remarquable. Elle épate même le CEPMR qui ne travaille que sur ce type de vestiges. La hauteur de l’élévation, les couleurs utilisées et la maîtrise technique des artisans indiquent à coup sûr le rang élevé du propriétaire de la villa. «Mais pour aller plus loin dans l’interprétation, il faudra savoir ce qu’il y a autour de cette pièce, a soutenu Sabrine Groetembril. Sans possibilités de regard sur la globalité du site, nous ne pourrons pas aller plus loin…»

Foni Le Brun, directeur du Centre national de la recherche scientifique, ne dit pas le contraire et il a de quoi se réjouir puisqu’il vient d’obtenir les crédits pour deux ans de fouilles à Schieren. «La priorité sera de dégager la partie proche de la route puis nous travaillerons sur la répartition des pièces avant de définir la silhouette de la villa.» Le travail promet d’être colossal puisque par endroits, la sérigraphie pourrait atteindre quatre mètres de haut. Mais tous les archéologues ont hâte de se mettre à la tâche!

Erwan Nonet

Mais à quoi servait cette pièce?

C’est la grande question et celui qui prétendrait y répondre avec assurance serait bien ambitieux. Ce qui est certain, c’est qu’elle était chauffée par un système d’hypocauste (chauffage au sol) comme le sont les pièces de réception. Toutefois, elle est trop petite pour avoir rempli cette fonction. Peut-être est-elle un aménagement postérieur à la construction de la villa, la poursuite des fouilles le dira. Dans l’état actuel des connaissances, les archéologues ne peuvent que lancer des hypothèses : bureau du maître du domaine, boudoir de son épouse… L’avenir, peut-être, le dira.

2 plusieurs commentaires

  1. Saintmard-Wyns

    Merci pour les nouvelles d’un pays où j’ai travaillé!

  2. Saintmard-Wyns

    Toujours intéressé par les nouvelles du GDL où j’ai travaillé au CFM!