Février 2017, rue de Hollerich. Un homme est poignardé dans un bar. L’auteur présumé des coups de couteau, à peine sorti de prison pour tentative de meurtre dans une autre affaire, conteste les faits.
«Cela criait. Il y avait des centaines de personnes rassemblées autour de nous. C’était l’ambiance typique du quartier de la Gare un samedi au petit matin», se souvient un commissaire en chef en poste dans le quartier à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg mardi. «Des agents en patrouille rue de Hollerich avaient signalé une dispute entre un des videurs de l’établissement Time Out et un homme.» Des renforts ont été appelés. «On pouvait sentir dans l’air que l’ambiance était en train de changer», se souvient celui qui a mené les opérations ce soir-là. «Un videur nous a prévenus qu’à l’intérieur une personne avait reçu des coups de couteau.»
Au même moment, en cette nuit du 12 février 2017, un homme sort de l’établissement comme si de rien n’était en se tenant le cou et un autre, nommé Victor Hugo, est sorti de l’établissement par un des videurs. Les policiers constatent du sang sur ses vêtements et décident de l’immobiliser. Le jeune homme n’oppose aucune résistance. Suit Sandro. Il a reçu un coup de couteau à l’épaule. Il sera lui aussi menotté après avoir été soigné. Le commissaire en chef décidera alors d’appréhender tous les clients présentant des traces de sang sur leurs vêtements.
Lisandro est l’un d’entre eux. Sur le petit parking devant l’établissement, il ne s’est pas laissé faire, selon les forces de l’ordre. Les policiers, dont le commissaire en chef, s’y seraient mis à plusieurs pour essayer de le menotter. Samuel et Cesar auraient tenté de les en empêcher. Cesar aurait sauté sur le dos d’un inspecteur avant de prendre la fuite. Samuel aurait été repoussé avec une bombe au poivre par le commissaire en chef. «Je n’ai pas été blessé. Nous avons l’habitude des contacts physiques», assure le policier.
Encerclées sur le parking par les clients de l’établissement, les forces de l’ordre ne seraient parvenues à ramener le calme que grâce aux nombreux renforts arrivés sur les lieux. «Une passante s’est approchée de nous pour nous signaler la présence d’un homme blessé dans une rue voisine», raconte le gradé. Il s’agissait de l’homme passé devant les policiers un peu plus tôt en se tenant le cou.
Bien que «le problème de ce genre de soirées soit de trouver des témoins», les policiers apprennent de deux témoins, dont un est Victor Hugo, que Lisandro aurait blessé Sandro à l’épaule avec un couteau et aurait donné des coups au cou et à la poitrine à l’homme trouvé dans la rue. L’arme utilisée n’aurait pas été retrouvée par les policiers qui ont passé les lieux au peigne fin. Le mobile reste obscur. Le policier table d’expérience sur un règlement de comptes et s’étonne qu’il n’y ait pas eu, à sa connaissance, de représailles. «Ils se croisent à Luxembourg-Ville et règlent leurs comptes pour des affaires qui ont eu lieu à Differdange ou à Ettelbruck.»
La victime a perdu beaucoup de sang
Lisandro, grand gaillard à dreadlocks, comme Samuel et Sandro, conteste les faits qui lui sont reprochés, contrairement aux deux autres. Le jeune homme est sorti de prison jeudi dernier grâce à des remises de peine après quatre ans et demi sur les douze ans dont la moitié avec sursis auxquels il avait été condamné pour tentative de meurtre. La nuit des faits, il faisait l’objet d’un signalement national et international et était sous le coup d’un mandat d’amener. Il s’agit d’un ordre donné à la force publique d’amener une personne devant un juge d’instruction.
Depuis sa sortie de prison, Lisandro est interdit de territoire luxembourgeois. Il dit résider au Portugal, tout comme sa victime présumée qui, faute de papiers d’identité en règle, ne peut venir au Luxembourg pour assister au procès. Mardi matin, il n’était pas le seul à manquer à l’appel. Cesar, un des quatre prévenus, ainsi que les deux témoins clés ont brillé par leur absence. L’un des deux aurait dit pouvoir se libérer cet après-midi. Il pourra sans doute apporter un peu plus de lumière sur les faits tels qu’ils se sont produits.
Les trois jeunes hommes comparaissent pour rébellion pour les uns et tentative de meurtre ainsi que coups et blessures volontaires pour Lisandro. Si Sandro s’en est tiré sans trop de dommages avec sa blessure à l’épaule, les blessures infligées à la victime présumée auraient pu avoir des conséquences bien plus dramatiques, selon un expert en médecine légale appelé à la barre de la 13e chambre criminelle mardi. La victime aurait eu beaucoup de chance qu’aucune artère n’ait été touchée et que le coup de couteau porté à la poitrine ait été peu profond. Le jeune homme aurait toutefois perdu beaucoup de sang et aurait dû être transfusé à trois reprises tandis qu’il était opéré d’urgence.
Touché de part et d’autre du cou, il aurait, immédiatement après les faits, présenté des problèmes moteurs et neurologiques au bras droit. Impossible, même pour son avocat, d’attester d’éventuelles séquelles ou des traitements, voire une amélioration de son état depuis les faits. Il n’aurait versé à ce dernier qu’une attestation médicale datant de 2017. Difficile dans ces conditions de se porter partie civile, souligne la présidente de la 13e chambre criminelle.
L’audience reprend ce mercredi après-midi avec les auditions des témoins, entre autres.
Sophie Kieffer