«Un autre lui» aurait tué sa femme. Raymond aurait refoulé l’acte au point de ne pas pouvoir y croire. Une amnésie qui ne le rendrait pas moins responsable de ses actes.
Le prévenu tire un mouchoir en tissu bleu clair d’une des poches de son costume et se tamponne les yeux. Dans la salle d’audience du tribunal d’arrondissement de Luxembourg est diffusé l’appel téléphonique qu’il a passé aux urgences après avoir trouvé son épouse couchée inconsciente à côté de lui dans le lit conjugal.
«Chaque minute compte», le prévient l’opératrice qui lui propose de rester en ligne avec lui jusqu’à l’arrivée des secours et de lui expliquer comment réaliser un massage cardiaque. La ligne coupe et l’opératrice le rappelle une minute plus tard : il attendait les secours devant la porte de leur domicile.
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Avant de les prévenir, il aurait descendu les sacs en plastique trouvés à côté du lit à la cave de peur qu’on l’accuse de récidive. Pour se calmer, il aurait bu une boisson alcoolisée avant de téléphoner à ses enfants, qui lui auraient conseillé de téléphoner au 112.
Il était 5 h 15 en ce matin du 8 novembre 2019. Les secours ne sont pas parvenus à réanimer la victime. Des signes physiques laissent penser qu’elle aurait été étouffée avec un objet mou. Raymond est le principal suspect. Il avait déjà tenté de l’étouffer en 2012.
Le prévenu avait été condamné, mais son épouse lui avait pardonné, semble-t-il. Il aurait, dit-il, agi poussé par des défunts qui lui apparaîtraient régulièrement. Ils seraient également intervenus la nuit du décès suspect de son épouse à Differdange.
À un expert psychologue qui a dressé son portrait psychologique, il a confié qu’«un autre lui» aurait agi à sa place. C’est la raison pour laquelle il ne se sentirait pas responsable, puisqu’il aurait tué son épouse inconsciemment. Jeudi, au premier jour de son procès face à la 13e chambre criminelle, il avait avancé qu’elle était décédée de causes naturelles. L’expert en médecine légale avait réfuté cette thèse.
Raymond serait «un cas complexe», «qu’on a du mal à comprendre et à expliquer», a avancé un des trois experts appelés à dresser son profil psychologique. Enfant battu par un père exigeant, Raymond aurait été suivi la moitié de sa vie pour des troubles dépressifs et aurait commis trois tentatives de suicide depuis 2011.
Autoritaire à tendance narcissique, Raymond supporterait mal les critiques et refoulerait certains aspects de sa personnalité. Il serait vite dépassé par les tensions du quotidien et serait tiraillé par des conflits intérieurs. Il aurait également l’imagination fertile et serait décrit comme mystificateur, estime le psychologue.
« Manipulation surnaturelle »
Son collègue expert psychiatre a décelé une structure de caractère perverse qui l’empêcherait de développer des émotions et des liens affectifs, ce qui pourrait expliquer sa difficulté à reconnaître les faits. «Quand on n’a pas de sentiments, il est peut-être plus simple de faire du mal», estime l’expert.
Les partenaires de ce genre de personnes ne parviendraient que difficilement à se libérer de l’emprise de ces individus décrits comme évitant les contacts émotionnels, incapables de ressentir de l’empathie, porteur de chaos et vivant en permanence dans la mise en scène d’eux-mêmes pour ne pas laisser transparaître leur nature profonde.
Un portrait peu flatteur d’un prévenu à l’apparence de monsieur Tout-le-monde. Les rapports du couple et leur vie sexuelle ont également été questionnés, pourtant aucun mobile n’a pu être dégagé. Les experts psychiatres n’excluent pas que le mobile puisse être inconscient et provenir d’une frustration sexuelle liée à une libido défaillante.
Un lapsus entre les mots luxembourgeois «Pimmel», argot pour pénis, et «Pillem», oreiller, alors qu’il expliquait à son fils que la victime avait été étouffée avec un oreiller, a mis les experts sur la piste, de même qu’une tentative d’attouchements sur sa sœur enfant et son aventure de vacances avec sa belle-mère.
Raymond ne serait pas fou, au sens péjoratif du terme. Il serait, selon les experts, bel et bien responsable de ses actes. Il les aurait possiblement refoulés au point de ne plus s’en souvenir. Il ne s’agirait de sa part ni de dissimulation ni de troubles neurologiques.
Ses visions, «ses manipulations surnaturelles», comme il les nomme, ne proviendraient pas d’une psychose, mais seraient un mécanisme développé par le prévenu «pour trouver des explications et l’absolution» ainsi que se distancier de l’acte.
Quant à la thèse du somnambulisme, un temps évoquée par le prévenu pour expliquer son acte, elle a également été écartée par un neurologue. Sans mobile, sans aveux, sans témoins directs et sans indices matériels – l’experte en analyses génétiques n’a pas voulu se prononcer sur l’utilisation des sacs en plastique comme arme du crime –, la tâche de la 13e chambre criminelle s’annonce ardue. De nombreux témoins ont été cités à la barre pour tenter d’éclairer la personnalité du prévenu et lever le voile sur ses relations avec la victime.
Suite du procès mardi prochain.
Sophie Kieffer