Le premier procès pour des faits liés au terrorisme s’est ouvert ce mercredi à Luxembourg. Un couple est entre autres suspecté d’appartenance à un réseau terroriste et de propagande.
«Vous assistez à un procès historique», ironise le représentant du parquet en direction du banc de la presse lors d’une interruption de l’audience hier après-midi. En effet, les articles 135.4, 135.11 et 135.12 du code pénal sur l’appartenance à un groupe terroriste et les infractions liées aux activités terroristes sont pour la première fois invoqués lors d’un procès au Luxembourg.
À la lecture des préventions, on s’attendait à voir arriver un barbu au regard noir. À la place, un jeune homme frêle en mauvaise santé poussé dans un fauteuil roulant par une jeune femme voilée et vêtue d’une longue robe et d’un châle avait fait son entrée au tribunal mardi matin. Kevin, pas tout à fait 30 ans, et Alyson, bientôt 26, sont suspectés d’avoir activement participé au groupe État islamique, notamment en diffusant des messages et du matériel de propagande. Une perquisition avait été effectuée au domicile du couple par la cellule antiterroriste le 19 juin 2018 et le jeune homme avait été placé en détention préventive dès le lendemain.
L’affaire n’avait pas pu être prise mardi en raison du dépassement de la durée du procès du CSV Frëndeskrees. Elle a débuté hier sans le principal prévenu. Des raisons médicales ont été avancées pour expliquer son absence. «Il doit récupérer de sa journée d’hier », explique son épouse, Alyson. Mardi, il avait dû patienter pour finalement être renvoyé chez lui comme tous les protagonistes de ce procès. Attente qui l’aurait beaucoup éprouvé, tout comme l’enquête, selon la jeune femme. Kevin soufre d’un ulcère à l’estomac depuis de nombreuses années qui le handicaperait beaucoup.
Les experts psychiatres qui se sont succédé ce mercredi à la barre de la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg ont décrit le prévenu comme quelqu’un d’immature, en recherche d’un cadre, de structure et «qui se comporte comme un adolescent gâté» malgré un «parcours chaotique» dû, semble-t-il, à des carences affectives remontant à l’abandon par sa maman quand il était bébé. Kevin se serait fait expulser de plusieurs lycées et écoles, est recalé de l’armée grand-ducale à trois reprises et de la Légion étrangère, a passé trois ans à Dreiborn et quelques semaines au CHNP en 2017.
Il aurait rencontré l’islam à Dreiborn. Tout comme le sport qu’il aurait pratiqué à outrance dans le but de devenir champion de MMA. Son corps le lâche et il se rabat sur la recherche d’un islam pur. Kevin nierait toute radicalisation et prétendrait ne pas avoir eu conscience d’avoir fait quelque chose d’illégal. Converti à l’islam, il dit s’être juste informé, avoir échangé avec des groupes islamistes et fait de nombreux voyages dans des pays islamiques pour «devenir un savant de la religion», rapportent les experts psychiatres. Pas un prophète ou un fou de Dieu. Ni un fanatique.
Kevin aurait une personnalité complexe qui le rendrait «vulnérable » et «il ne serait pas à l’abri d’incitations extérieures néfastes». Le prévenu serait en proie à des traits narcissiques, à un manque de remise en question, à une grande naïveté et à des ambitions et des attentes exagérées envers lui-même. Son «besoin vital de se mettre en avant le rendrait malléable et influençable». Quant à la loi et à l’autorité, il les bafouerait depuis toujours, selon un des experts.
Des contacts troublants
L’enquête menée par les hommes de la cellule antiterroriste de la police grand-ducale démontrerait pourtant des liens étroits avec des membres de l’État islamique ainsi qu’une activité de propagande avérée par le biais de divers médias (réseaux sociaux et sites dont il était l’administrateur). Kevin y aurait notamment affirmé que «seul Daesh enseigne et propage le véritable islam».
En 2017, le FBI a alerté la police grand-ducale sur les activités de quatre profils Facebook utilisés par le prévenu. Les enquêteurs les épluchent et découvrent que 12 000 informations ont été partagées sur un seul compte en l’espace d’une année. Trois adresses IP utilisées par Kevin ont été retrouvées sur un serveur de l’État islamique au Panama par la police espagnole.
Kevin et Alyson auraient peur des annulatifs – si une personne commet un de ces annulatifs, son islam et sa religion s’annulent – et de l’apostasie. Ils auraient été liés à des personnes condamnées par la justice pour des faits liés au terrorisme ou à son financement, à des personnes ayant appelé aux attaques en France ou à des combattants de l’État islamique en France et au Luxembourg, comme Steve Duarte, djihadiste luxembourgeois présumé. Le prévenu a également, selon un des enquêteurs, tenté d’entrer en contact avec des membres de l’EI en Syrie en se présentant comme «un frère» et en citant un de ses alias.
Sur son ordinateur, la police dit avoir trouvé l’application Telegram, utilisée par l’État islamique et ses sympathisants pour diffuser de la propagande sur différents canaux. Le prévenu aurait été abonné à certains d’entre eux. Il aurait également archivé des documents et des vidéos de propagande. Enfin, avant de devoir interrompre son exposé faute de temps, un des policiers a estimé que le ton employé et les extraits du Coran tirés de leur contexte publiés par le jeune homme sur divers canaux «laissaient peu de place au doute» : il s’agissait de «tuer les mécréants».
Le procès reprend ce matin. En présence, les juges l’espèrent, du principal prévenu.
Sophie Kieffer