Tout le monde aime Raymond. C’est l’effroi quand il devient le suspect principal du meurtre de son épouse. Même du côté des personnes informées de sa tentative de 2012.
Raymond a vu sa vie défiler, commentée, décortiquée vendredi matin lors de la sixième journée de son procès. Le septuagénaire est suspecté d’avoir étouffé son épouse pendant son sommeil durant la nuit du 7 au 8 novembre 2019. Le couple était seul dans son appartement de Differdange, mais l’homme dit ne se souvenir de rien. S’il a tué son épouse, ce serait à l’insu de son plein gré.
Si les témoignages de cinq de ses connaissances et celui, posthume, de sa fille, ont permis de préciser davantage la personnalité du prévenu, il a également été question du couple et, pour la première fois depuis le début du procès, de la victime elle-même en tant que femme, mère et épouse. Christiane, une amie d’enfance, a dressé le portrait d’une mère aimante et d’une femme discrète qui ne parlait pas beaucoup d’elle.
«Elle ne se confiait jamais. J’essayais de la secouer. Après 2012, j’ai cherché des moyens de la soutenir, mais elle ne me disait rien ou répondait à mes questions de manière laconique», a-t-elle expliqué à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg hier, «Je me rendais bien compte que quelque chose n’allait pas.»
Une voisine avec qui la victime s’était liée d’amitié a, quant à elle, indiqué avoir «découvert une femme malheureuse». «Quelque chose la rendait triste et semblait la perturber, mais elle n’a jamais rien dit, même si elle cherchait le contact», a-t-elle expliqué.
Quand elle apprend le décès de la victime, elle pense immédiatement à un suicide. «Raymond m’avait dit que la veille elle avait confié à son fils ne pas avoir eu une belle vie (…) Alors qu’elle avait tout !» Comme les autres témoins qui se sont exprimés, elle a du mal à croire le prévenu capable d’un tel acte et, comme la plupart d’entre eux, elle a cessé tout contact avec lui.
Armand, un ami du couple depuis 40 ans, explique que Raymond et son épouse se chamaillaient, mais il n’aurait jamais eu l’impression que le couple battait de l’aile, même après la tentative d’étouffement de 2012. «J’ai fait le lien directement», note-t-il avant d’expliquer que «le couple coexistait de manière forcée depuis» : «Elle assurait le volet social et lui s’occupait de tout ce qui était pratique. Il aimait organiser les choses et disparaissait pendant les repas.»
«Un homme malade, pas un meurtrier»
«La victime dépendait entièrement de lui, c’est pour cette raison qu’elle l’a repris après 2012 et n’a pas demandé le divorce, a estimé son amie d’enfance. Elle était sa marionnette.» Raymond aurait, selon elle, à la fois fait office de père et de protecteur. «Pour moi, il avait besoin de quelqu’un à manipuler. Elle a été sous emprise pendant toute sa vie, elle aurait été incapable de vivre seule. Il faisait absolument tout.» Selon elle, le prévenu aurait également tenté de maintenir ses enfants sous cette même emprise.
«Raymond est un homme malade, ce n’est pas un meurtrier», conclut-elle. Ce à quoi la présidente de la chambre criminelle lui répond que deux experts psychiatres «n’ont rien décelé d’autre chez lui qu’un trouble dépressif. Ses hallucinations ne seraient qu’un mécanisme de défense» mis en place par son psychisme.
Plus tôt à l’audience, l’ami du couple avait marqué son incompréhension et ses doutes quant aux circonstances de la tentative de meurtre de 2012. «On nous avait parlé des hallucinations, rapporte-t-il. Il aurait vérifié que toutes les portes et les fenêtres étaient fermées avant de tenter de tuer son épouse. Ce n’est pas logique.»
Lors des audiences précédentes, le prévenu avait été présenté comme un affabulateur et un manipulateur qui se servait des peurs des gens pour obtenir ce qu’il souhaitait. Une sorte de Docteur Jekyll et Mister Hyde à la personnalité double. Sa fille, dans sa déposition à la police lue par une greffière du tribunal, évoque la peur qu’il inspirait à ses enfants et qu’il aurait continué à leur inspirer après les faits.
«Il s’en est pris à maman. Nous serons les prochains parce que nous l’accablons», avait-elle insinué. Assis dans le box, le prévenu sort son mouchoir en tissu parfaitement plié et se tapote les yeux après que la jeune femme a confié qu’elle le soupçonnait d’avoir tué le chien de sa maman pour s’entraîner à jouer la tristesse face à la mort.
Comme tous les protagonistes de ce procès, elle ne comprenait pas ce qui aurait bien pu pousser son père à commettre l’irréparable. Le mobile du crime reste un mystère. Le prévenu n’aurait-il pas supporté dans son for intérieur que la victime annonce à son fils ne pas avoir vécu une belle vie ou a-t-il voulu abréger ses souffrances ? Autant de spéculations parmi tant d’autres que les juges devront démêler pour parvenir à un jugement.
Le procès reprend mardi matin avec les auditions de témoins cités par la défense.
Sophie Kieffer