Du témoignage poignant d’un fils aux pleurs d’un père que l’on voudrait sincères, la cinquième audience du procès d’un homme suspecté d’avoir tué son épouse a été révélatrice.
Un portrait peu reluisant du prévenu s’est dessiné au fur et à mesure du témoignage de son fils, ce jeudi. L’homme de 38 ans se souvient avoir immédiatement eu un doute quant à l’implication de son père dans le décès de sa mère au matin du 8 novembre 2019 à Differdange. Arrivé au domicile de ses parents avec sa sœur après les secours, il se serait étonné du comportement de son père, mais l’attribue au choc.
«Il blaguait avec les passants et envoyait de SMS à la ronde. Je me suis demandé s’il n’essayait pas de cacher que la police était chez nous, a indiqué le fils du prévenu à la barre ce jeudi. Il faisait comme si de rien n’était et n’avait pas l’air en deuil.» Le jeune homme dit, d’instinct, avoir rapidement eu un début de conviction que son père avait tué sa mère. Il y avait déjà eu une première tentative en 2012. Cette conviction aurait été confirmée le lendemain des faits quand le prévenu a demandé à être interné parce qu’il n’aurait pas réussi à s’enlever de l’esprit les mots et les images de son épouse le suppliant d’arrêter.
Depuis, le jeune homme, se sentant manipulé, aurait coupé tout contact avec son père. «Je savais que je n’obtiendrais pas de réponse de sa part.» Son père, lui, n’aurait pas voulu le lâcher. Il aurait tenté de garder le contact à travers des centaines de lettres jusqu’à ce que le fils porte plainte pour harcèlement obsessionnel. «Par tous les moyens, il voulait me manipuler et il se servait des apparitions de ma mère pour y parvenir», note ce fils qui en arrive à se demander si le prévenu n’essayerait pas de se faire passer pour fou.
Ne parvenant plus à atteindre directement son fils, Raymond l’aurait notamment dénigré auprès de son employeur ou d’administrations. Depuis quelques semaines, le prévenu aurait commencé à écrire des lettres à ses petites-filles pour dénigrer le jeune homme qui n’aurait de cesse de vouloir protéger les fillettes des répercussions de l’affaire. De sa cellule de prison, Raymond aurait écrit plus de 1 600 lettres à divers destinataires.
La victime aurait vécu dans la peur de la récidive depuis 2012, raconte son fils. Pour éviter les conflits, elle se serait murée dans le silence. La veille de sa mort, elle aurait confié à son fils ne pas avoir eu une vie heureuse.
«Condamnez-moi, s’il vous plaît!»
Les mots du fils sont douloureux, difficiles à entendre. Ils traduisent l’horreur qu’il a dû traverser et qu’il traverse encore. L’ambiance dans la salle d’audience est pesante. Dans le public, l’émotion est palpable. Après le témoignage du fils, le père s’effondre dans le box. Il demande à pouvoir prendre la parole : «Je ne suis pas conscient d’avoir quelque chose à voir avec la mort de mon épouse, mais puisque tout le monde dit qu’il s’agit d’une mort suspecte et que j’étais seul avec elle dans l’appartement, il n’y a d’autre possibilité que celle que j’ai tué ma femme. Alors condamnez-moi s’il vous plaît!» En pleurs, il s’étrangle, ses propos sont difficilement audibles. Il indique renoncer aux témoins convoqués par la défense pour faire avancer le procès. «Je ne pensais pas à toutes les conséquences négatives pour mon fils et mes petites-filles», indique-t-il.
Le premier substitut du procureur, Laurent Seck, et la présidente de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement, Sylvie Conter, ne se sont pas laissés attendrir. Ils soulignent que ces aveux théâtraux ne seraient qu’une de ses nombreuses versions apparues dans le dossier. Le procès suivra son cours prévu. Le prévenu s’est-il livré à une manipulation pour apitoyer les juges ou a-t-il réellement pris conscience de la portée de l’acte qu’il est suspecté d’avoir commis? Raymond a sorti son mouchoir à l’évocation de ses petites-filles.
L’homme est difficile à cerner. Sa sœur témoigne à la barre qu’il lui aurait demandé d’inviter un maximum de ses connaissances à assister à son procès pour qu’ils voient comment il serait acquitté. Elle le décrit comme quelqu’un d’actif et de serviable qui aimait prendre les choses en main et les régler. Mais comme son neveu et d’autres témoins entendus au cours de l’enquête, la sexagénaire évoque également un homme manipulateur qui n’aurait pas hésité à avoir recours à la peur pour obtenir ce dont il avait envie. Elle aussi aurait du mal à croire son frère capable d’un tel acte et ne voit pas de raison pour laquelle il aurait pu le commettre.
Alors que tout converge vers le prévenu, l’énigme demeure entière. Raymond continue de dire qu’il n’a aucune idée de ce qui a bien pu se passer dans leur appartement et invoque des voix ou des apparitions de défunts qui auraient pu l’entraîner à commettre le crime.
Sophie Kieffer