Pour le parquet, aucun doute que le sans-abri a ligoté le septuagénaire dans son appartement fin 2019 pour lui voler sa carte bancaire et extorquer son code PIN. Mais lui le conteste haut et fort.
Il a passé dix mois et demi à Schrassig. Et il a fait quatre demandes de mise en liberté provisoire. Le prévenu de 31 ans qui, mardi à l’ouverture de son procès, demandait à être «condamné pour sortir aussi vite que possible de prison» ne s’attendait visiblement pas à un tel réquisitoire.
Abasourdi par la peine de 17 ans de réclusion requise par la représentante du parquet, vendredi matin, il s’est mis à hurler dans sa langue natale : «Je n’ai pas séquestré cet homme!» Difficile pour l’interprète de tenir la cadence. Ses paroles ont été submergées.
Le trentenaire n’avait pas fini de dire son dernier mot à la barre de la 13e chambre criminelle. Loin de là. «Un peu de calme», est intervenue la présidente, l’invitant par la même occasion à remonter son masque sur son nez… tandis que les trois policiers présents dans la petite salle TL 1.04 se postaient autour de lui. À l’arrière de la salle, dans le public, une voix s’est aussi élevée. La personne a été mise à la porte. «Je n’ai jamais fait cela», a de nouveau martelé le prévenu Daniel M. face aux juges.
Le 13 décembre 2019, un septuagénaire sérieusement amoché au visage avait été retrouvé dans son appartement rue de l’Alzette à Esch. Qu’il s’est bagarré et l’a frappé, Daniel M. ne le conteste pas. Mais cela s’arrête là. Pour le reste, le septuagénaire aurait tout inventé. Cette histoire de séquestration avec les ceintures pour lui ligoter pieds et mains aurait juste servi à le mettre en prison afin qu’il puisse rester seul avec sa compagne. Comme lui, elle squattait à l’époque régulièrement l’appartement du septuagénaire.
La défense parle d’une «mise en scène»
En arrivant dans l’appartement, la police avait découvert des traces de sang qui menaient de la cuisine jusqu’à la chambre où un couteau à steak avait été retrouvé près de la tête de lit. «Cela ressemble à une mise en scène pour faire croire que ce qui s’est passé est très très grave», avait plaidé Me Aline Condrotte quelques instants plus tôt. Elle estime qu’«à part les dires de la victime», il n’y a rien dans ce dossier. Il n’y aurait ainsi pas de marques prouvant que le septuagénaire a vraiment été ligoté. Quant aux trois ceintures retrouvées par la police, il est fort possible qu’il s’agissait juste des «liens utilisés pour s’adonner à ses fantasmes». La défense s’appuie sur les images pornographiques retrouvées dans le coffre-fort… Et de dire: «Il avait l’habitude d’accueillir contre un peu d’argent des jeunes femmes désœuvrées et droguées.» La défense constate également que les empreintes sur les armes et le matériel n’ont pas été analysées.
Le parquet n’est toutefois pas d’accord avec l’absence de preuves. «La police technique parle de liens assez souples n’ayant pas laissé de marques.» Et il n’y aurait pas uniquement les déclarations de la victime, a enchaîné la parquetière. Ainsi, la police aurait-elle retrouvé à des endroits bien précis le cutter avec lequel la victime raconte s’être libérée ainsi que le couteau qu’on lui avait mis sous la gorge.
«On a affaire à un couple de SDF. On essaie de se loger et de se financer comme on peut», avait débuté la représentante du parquet son réquisitoire. Pour elle, il ne fait pas de doute que le prévenu a séquestré le septuagénaire dans le but de voler sa carte bancaire, puis d’extorquer son code PIN. Enfin, en quittant l’appartement pour aller retirer l’argent à la banque, il aurait emporté la carte SIM de son portable pour que les secours ne puissent pas être appelés. La victime avait finalement donné l’alerte le lendemain au petit matin avec un coup de sifflet par la fenêtre. C’est la voisine d’en face qui avait contacté la police.
«On ne lui reproche pas de l’avoir abattu à la hache»
La défense avait par ailleurs pointé l’absence de taches nettes de sang. «On ne lui reproche pas d’avoir abattu à la hache la victime, mais de l’avoir frappée au visage! Ce sang s’est répandu un peu partout dans l’appartement», a fait remarquer la représentante du parquet. Elle balayera aussi d’un revers de la main les circonstances atténuantes invoquées par la défense. «Dire qu’on est drogué, ce n’est pas la meilleure circonstance atténuante. Car on n’est pas censé se droguer.» Et d’ajouter : «Il n’a pas vraiment montré de repentir.» L’auteur d’une séquestration encourt de 15 à 20 ans de réclusion. Voilà pourquoi elle demande 17 ans de réclusion et une amende.
Pour une autre affaire de vol remontant à fin juin 2019 et jugée dans la foulée, elle a requis 12 mois de prison contre le prévenu. Il s’est emporté de plus belle. Les juges avaient déjà quitté la salle qu’on l’entendait toujours.
Les prononcés dans les deux affaires sont fixés au 19 novembre.
Fabienne Armborst