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Rixe sanglante à Luxembourg : «Je n’ai pas coupé son visage»


À cause de la crise sanitaire, la Cité judiciaire tourne actuellement au ralenti. Seuls les procès des détenus ont lieu. Et on porte des masques dans la salle d'audience. (Photo : Fabienne Armborst)

À l’issue d’une rixe sanglante à la sortie d’un café dans le quartier de la gare fin février 2019, une trentenaire avait dû subir 15 points de suture. À la barre de la chambre criminelle mercredi après-midi, le prévenu a nié avoir manié un couteau.

À vie, elle restera marquée par cette rixe du 28 février 2019. Blessée au visage à la sortie d’un café dans le quartier de la gare à Luxembourg, la victime, âgée alors de 37 ans, avait terminé à l’hôpital. Bilan : quinze points de suture. La cicatrice sur sa joue droite est toujours visible. Étant dissimulée par le masque qu’elle portait pour l’audience – crise sanitaire oblige –, la trentenaire a ôté celui-ci durant quelques secondes, le temps de montrer sa cicatrice aux juges.

Assis sur le banc des prévenus, assisté par une interprète, le jeune homme de 26 ans suit le récit de la victime. Il avait été interpellé juste après cette rixe sanglante. Alertée par des cris et des signes d’appel à l’aide peu après 1 h du matin avenue de la Gare, une patrouille de police avait rapidement pu l’immobiliser. Depuis, il se trouve en détention préventive à Schrassig. Car le parquet a décidé de le poursuivre pour tentative de meurtre…

Qu’il a frappé la victime, il ne le conteste pas. Il reconnaît aussi lui avoir donné des coups de pied quand elle était au sol. Mais jamais n’aurait-il porté de coup de couteau. «Je n’ai pas coupé son visage», insistera-t-il face aux juges. Un couteau qui n’a d’ailleurs jamais été retrouvé par la police. A-t-il éventuellement été emporté? Ou ramassé le lendemain entre les chaises empilées par une serveuse, comme dit l’avoir entendu une amie de la victime… La nuit des faits, la caméra de vidéosurveillance du café ne fonctionnait pas. C’est donc les différentes déclarations que la 9e chambre criminelle a dû décortiquer mercredi après-midi.

Car le déroulement exact de l’altercation est loin d’être clair. Ce qui est néanmoins sûr, c’est que cette rixe sanglante trouve son origine dans le café avant sa fermeture. La victime raconte avoir tenté de calmer deux hommes en train de se chamailler. Elle aurait à un moment envisagé d’appeler la police. Ce qu’elle n’aurait toutefois pas fait. Mais cette intention semble avoir toute son importance dans la suite des événements. Car à l’extérieur du café, cette information finit par ressurgir. L’échange verbal qu’elle y a avec l’un des deux hommes s’envenime. C’est au moment où elle le menace de nouveau d’appeler la police qu’il aurait sorti un couteau. «J’étais pleine de sang. Mais je n’ai pas réalisé l’ampleur de la blessure. C’était un couteau très aiguisé.»

Couteau ou tesson de bouteille Super Bock?

La victime se souvient que deux personnes sont intervenues pour les séparer. Mais cela n’aurait pas empêché qu’il la jette au sol et lui donne des coups de pied. Toujours avec le couteau dans la main droite. «Il a arrêté quand il a vu la police. Et il a jeté le couteau.» L’amie de la trentenaire, témoin de l’altercation, confirme avoir appelé la police.

La version de la victime ne colle toutefois pas tout à fait avec celle du prévenu. «Parfois, entre Cap-Verdiens, on parle fort. Et les gens autour ne comprennent pas qu’on est juste en train de discuter. Ce soir-là, on parlait du foot. Et je disais que mon équipe était la plus forte.» S’il conteste s’être disputé dans le café, n’empêche qu’avec ses plus de 2 g d’alcool dans le sang, il ne cache pas avoir «perdu la tête» par la suite : «Je l’ai frappée parce qu’elle ne me laissait pas tranquille. C’est pas joli ce qui s’est passé, j’ai honte.» Mais son explication pour la coupure est la suivante : «C’est le verre d’une bouteille Super Bock qu’elle tenait en main…»

Une expertise médico-légale, qui aurait pu déterminer l’origine exacte de la blessure, fait défaut dans ce dossier. «En l’absence d’un tel rapport, on ne peut pas retenir à l’abri de tout doute qu’il y a eu un couteau», estime Me Lynn Frank. Pour l’avocate, le doute doit donc profiter au prévenu.
Ce sur quoi le parquet peut s’appuyer aujourd’hui, ce sont une photo de la blessure et le certificat médical d’incapacité de travail de cinq jours de la victime. Insuffisant pour «retenir à l’abri de tout doute l’intention de donner la mort». Au lieu de la tentative de meurtre, le parquetier demandera donc de retenir l’infraction des coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail. Car il estime que le prévenu est bien l’auteur du coup de couteau. «L’amie a clairement dit qu’il tenait un couteau dans la main.»

Le parquet requiert deux ans de prison

Au moment des faits, le jeune homme se trouvait sous contrôle judiciaire – avec interdiction de fréquenter des cafés – après avoir bénéficié d’une mise en liberté provisoire quatre mois plus tôt. Il n’en est pas à sa première affaire pour agression au couteau, notera encore le parquetier dans son réquisitoire. Il réclamera au final deux ans de prison. Si le tribunal estime qu’il mérite un sursis, il propose un sursis probatoire. En ce qui concerne une éventuelle amende, le parquet se rapporte à prudence. La victime s’est constituée partie civile. Via son avocate, elle demande un total de 9 500 euros de dommages et intérêts ainsi qu’une expertise pour évaluer le préjudice moral.

Prononcé le 14 mai.

Fabienne Armborst