Kevin et Alyson prétendent avoir trouvé une forme d’islam pur auprès de l’EI. Pour la police, ils étaient plus motivés par l’idéologie des groupes terroristes que par la foi.
Deuxième jour de procès pour suspicion de terrorisme ce jeudi. Une première pour la justice luxembourgeoise. Absent à l’ouverture du procès, mercredi, pour des raisons de santé, le principal prévenu a fait le déplacement, mais a refusé, dans un premier temps, de rester dans la salle d’audience où la loi sanitaire l’oblige à porter un masque. Un jeune homme semblant très affaibli a finalement fait son entrée dans la salle, poussé dans un fauteuil roulant par son épouse voilée qui lui est entièrement dévouée. Et pour cause. «Kevin l’a rendue meilleure. Il a été son sauveur», selon la maman d’Alyson, qui a du mal à accepter la conversion de sa fille à l’islam.
À lire aussi ➡ Terrorisme devant la justice : une première au Luxembourg
Les mains tremblantes et le souffle court, recroquevillé sur lui-même, le prévenu a expliqué, en s’aidant d’une lettre manuscrite, qu’il était innocent et victime d’un complot qui lui coûte sa santé. «Je ne sais pas si je vais tenir encore longtemps», prévient-il d’entrée.
Le presque trentenaire dénonce des violences policières et des humiliations lors de son interpellation le 19 juin 2018, des tentatives d’empoisonnement en prison et les «magouilles» des policiers avec un certain Ottman. Selon lui, «90 % du dossier a été trafiqué [par les policiers] en découpant des phrases pour leur faire dire n’importe quoi». Le prévenu explique avoir prêté allégeance à Al-Qaïda par ignorance. Il aurait été endoctriné et n’adhérerait pas aux attentats ou au djihad. Idem en ce qui concerne son rapport à Daech. Il n’aurait contacté le groupe terroriste et ses sympathisants que pour obtenir des d’information sur les annulatifs, il insiste sur le fait qu’il n’a partagé que «des extraits d’écritures saintes qu’on trouve dans des livres en vente libre» et dit «ne pas avoir eu conscience que c’était illégal». Kevin, à la recherche d’un islam pur, rejetterait les préventions d’appartenance à un groupe terroriste et de propagande qui pèsent sur lui.
Al-Qaïda «trop modérée»
L’enquête de la cellule antiterroriste de la police décrit un couple radicalisé davantage intéressé par les idéologies des deux organisations terroristes Al-Qaïda et Daech que par les textes religieux de l’islam en tant que tels. Contrairement à ce que le couple affirme, il ne se serait pas uniquement appliqué à suivre les obligations religieuses et son engagement profond ne serait pas uniquement tourné vers l’islam seul. Dans un message cité par le policier, Kevin dit notamment que s’il devait aller vivre dans un autre pays, ce serait sur le territoire de l’EI, car «mieux vaut vivre chez Dawla (l’État islamique) que de cacher sa croyance».
Tous les contenus recherchés en ligne avaient un lien avec l’État islamique, selon la police. S’il cherchait et partageait des textes religieux, c’était pour appuyer les idéaux de l’EI. Pas par pure foi, avance l’enquêteur. Une pratique courante des personnes faisant partie des rouages d’organisations terroristes, selon les policiers. Tout comme la culpabilisation d’être un mauvais musulman et de risquer de devenir un mécréant.
Le but des deux prévenus était clair, selon les policiers. Il s’agissait de convaincre des personnes d’aller faire le djihad. Ils les préparaient sur le plan idéologique avant de leur envoyer des éléments de propagande. Selon l’enquêteur, Kevin avait des contacts avec des sympathisants et des membres de l’État islamique «que tout le monde n’a pas» et était connu comme «le frère du Luxembourg». L’ancien mari d’Alyson, qui ne s’est jamais caché d’avoir prêté allégeance à l’État islamique, était de ceux-là. L’enquêteur égrène les nombreuses preuves de ce qu’il avance.
Kevin l’interrompt pour demander une suspension de l’audience. Il dit être au bord du malaise. Le président de la 12e chambre correctionnelle ne la lui accordant pas assez rapidement, le prévenu demande à pouvoir sortir. «Je reviendrai quand ce sera à moi de parler», précise-t-il. L’enquêteur reprend là où il a été interrompu : Kevin était tout à fait conscient que l’État islamique était un groupe terroriste. Il l’aurait préféré à Al-Qaïda, «trop modérée», «des Bisounours» avec les mécréants. Reste à définir qui sont ces mécréants : les mauvais musulmans ou tout le monde en dehors d’un cercle restreint autour des deux prévenus?
Un des enquêteurs a ensuite expliqué l’intervention musclée de l’unité spéciale de la police. Il s’agissait, d’une part, d’agir vite pour empêcher que des preuves matérielles soient détruites par les prévenus et, d’autre part, d’assurer la sécurité des enquêteurs et des voisins. Le policier rappelle qu’à l’étranger les interventions de police au domicile de personnes en lien avec le terrorisme se passent rarement dans le calme.
Le procès reprend ce matin.
Sophie Kieffer