Kevin et Alysson ont-ils été endoctrinés à leur insu ou ont-ils agi sciemment? Le procureur avance que, contrairement à ce qu’ils affirment, ils auraient bien été des rouages de Daech.
«Simplet», le mot tombe. Dur, peu flatteur. Ce mot, Me Hellal l’espère, évitera peut-être la prison aux prévenus en cette dernière audience d’un procès interrompu le 29 octobre.
Kevin, pas tout à fait 30 ans, et Alyson, bientôt 26, sont suspectés d’avoir activement participé au groupe État islamique notamment en diffusant des messages et du matériel de propagande. Une perquisition avait été effectuée au domicile du couple au Kirchberg par la cellule antiterroriste le 19 juin 2018 et le jeune homme avait été placé en détention préventive dès le lendemain.
Le jeune homme nie en bloc les faits qui lui sont reprochés et crie au complot policier. On aurait tenté de l’empoisonner à trois reprises en prison et «90 % du dossier a été trafiqué [par les policiers] en découpant des phrases pour leur faire dire n’importe quoi». Sa jeune épouse, qui semble toute dévouée et aimante, tente de le tempérer, de le ramener à la réalité. Leur réalité. Celle de deux jeunes en quête d’amour, de reconnaissance et de stabilité qui se seraient fourvoyés sur la route d’un islam pur.
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Kevin aurait en permanence été en recherche et s’il avait des contacts avec des membres de l’État islamique ou des combattants de Daech, c’était pour obtenir des réponses et avancer. Jamais le couple ne lui aurait prêté allégeance, même si, ont-ils reconnu, l’organisation salafiste pratiquerait l’islam le plus juste à leurs yeux.
Ils n’auraient pas adhéré à la violence
Attention, avait précisé la jeune femme lors d’une précédente audience, ils n’auraient pas pour autant adhéré à la violence, aux attentats et aux exécutions. Ni partagé l’idéologie de Daech en ligne ou encouragé quiconque à les rejoindre. Kevin n’aurait fait que partager des passages d’ouvrages «en vente libre» de philosophies et des savants antérieurs à la création de l’État islamique. Des passages guerriers évoquant les «mécréants» après lecture desquels le procureur avait lâché, lors d’une précédente audience, que «tout le monde aura compris le fanatisme dont le prévenu est empreint».
Mardi encore, en cette dernière audience, Kevin a fait part de son incompréhension : «Pourquoi ne considère-t-on pas les conversations en ligne dans leur intégralité au lieu de bribes? Cela prouverait mon innocence. Je vous propose de le faire. Je n’invente rien.»
Alyson s’est plaint d’avoir été victime d’endoctrinement et dit avoir été suffisamment punie en voyant leur monde s’écrouler après avoir compris «qu’on nous avait retourné le cerveau». Depuis leur interpellation, les deux prévenus se seraient tournés vers un islam plus mesuré grâce à l’association respect.lu.
«Une utilisation maladroite des réseaux sociaux»
Me Hellal a demandé aux juges de la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg d’être cléments avec «ces gens tellement ordinaires que l’idée de faire du mal leur est étrangère», ces gens qu’il dit avoir «été mal compris». Le couple aurait péché par «une utilisation maladroite des réseaux sociaux» et «une initiation naïve à la religion». D’ailleurs, «Kevin ne pourrait pas être condamné pour être un peu simplet dans l’approche de certains thèmes».
L’avocat fonde sa défense sur le manque d’éducation et d’instruction des prévenus qui seraient «juste des gens qui écrivent dans des forums» des discussions comparées à «des discussions de comptoir». Rien de plus. Le dossier d’instruction n’apporterait pas la preuve de liens structurels avec l’organisation terroriste ni de preuves intentionnelles.
Les prévenus n’auraient jamais été adoubés par l’État islamique et n’auraient jamais lancé d’appels solennels à le rejoindre ou à commettre des actes de violence en son nom. Quant à Alyson, «elle est un accident de l’instruction», selon l’avocat qui estime «qu’elle a commis la bêtise de défendre son compagnon contre vents et marées».
Il a demandé leur acquittement si les juges ne parvenaient à trouver d’éléments intentionnels dans leurs actes. Sinon, il a plaidé en faveur d’un sursis intégrai, voulant à tout prix éviter la prison à ses clients.
«Pas du dogme, c’est de la haine»
«On nous demande de faire preuve de pitié et de compréhension, mais les victimes des attentats ont-ils eu droit à cette pitié quand on leur a ôté la vie?», interroge le procureur à l’issue de son réquisitoire. Kevin, de son côté, s’écroule de plus en plus dans son fauteuil roulant et se tient le front.
Le magistrat n’a pas mordu à l’hameçon de l’avocat. Pour lui, les prévenus savaient très bien ce qu’ils faisaient. Ils auraient bel et bien été des rouages de l’État islamique – «seul Daech connaît la vérité, les autres sont des Bisounours», selon les prévenus –, auraient propagé de la propagande pour obtenir des moyens financiers et humains, « de la chair à canon». Ils auraient également «provoqué au terrorisme» et incité à la haine, selon lui.
Il cite des passages entiers de conversations tenues en ligne par les prévenus et d’autres interlocuteurs. «Ce n’est pas de la foi, ce n’est pas du dogme, c’est de la haine», s’emporte-t-il, «Tuer, tuer, tuer… tous ceux qui ne sont pas pour Daech, il faut les tuer.»
Les textes sont édifiants. Et les partages auraient commencé avec l’exportation du terrorisme en Europe, insiste le procureur après un bref rappel de la raison d’être et du fonctionnement de l’État islamique dont la quatrième branche serait la propagande. Une branche à laquelle ils auraient largement contribué. Il requiert une peine de quatre ans et demi de prison contre Kevin et de deux ans et demi contre Alyson. Il ne s’oppose pas à un sursis partiel.
Le couple sera fixé sur son sort le 16 décembre.
Sophie Kieffer
Un individu qui s’intéresse à la propagande de terroristes qui commettent des crimes, puis qui les colporte a son entourage a une influence sur tous les autres individus fragiles qui sont restés en Europe et qui finissent par commettre un attentat suite à ce bourrage de cerveau, ou qui prennent un simple couteau pour aller agresser des personnes dans les rues. Ceux qui propagent une telle parole de haine sont responsables en partie de ce que d’autres vont faire .
C’est tout de même bizarre. Tous ceux qui se sont rendus dans les zones de combat disent tous ne pas avoir participé à une quelconque atrocité ni même en avoir vue. Et ceux qui sont restés en Europe, mais qui ont soutenu l’Etat islamique d’une quelconque façon notamment en diffusant les paroles de haine de cette organisation terroriste, disent qu’il ne s’agit que de paroles de comptoir.
Qui est alors responsible des atrocités commises par ces adeptes du terrorisme?
Personne?
Allez dire ça aux victims et à leurs familles!