Le procès d’un ténor du barreau pour intimidations et outrage vire à celui du fonctionnement du pouvoir judiciaire. Une condamnation reviendrait à nier l’indépendance de l’avocat.
Suite et peut-être fin jeudi matin du procès impliquant un avocat et un juge d’instruction. L’avocat prévenu a annoncé que s’il était condamné à la moindre petite amende, il interjetterait appel de la décision du tribunal. Mercredi, les avocats de la défense ont longuement plaidé l’acquittement de Me Lutgen. Le procureur a, quant à lui, estimé que l’avocat serait bel et bien auteur d’intimidations contre le juge d’instruction, de même que d’outrage à magistrat. Il a requis une peine d’amende de 2 000 euros.
Pour le magistrat, «c’est clair comme de l’eau de roche», Me Lutgen aurait agi intentionnellement pour faire pression sur le juge d’instruction afin d’obtenir la levée des scellés apposés sur un disjoncteur du laminoir de l’usine d’ArcelorMittal, son client, à Differdange après un accident mortel survenu deux jours auparavant.
Face au silence du juge d’instruction pendant la matinée et le début de l’après-midi du 29 mai 2019, l’avocat aurait envoyé un mail aux ministres de l’Économie et de la Justice – qui nomme les magistrats – ainsi qu’au procureur général d’État, précisant qu’il aurait déjà eu maille à partir avec Filipe Rodrigues par le passé.
Me Lutgen aurait dépassé les limites
«Des insinuations graves», a estimé le procureur. «Me Lutgen ne pouvait pas savoir s’il y avait un dysfonctionnement de la justice au moment de l’envoi de l’e-mail. Il n’y en avait pas, il n’y avait rien à dénoncer», a noté le procureur, d’avis que l’avocat disposait d’autres voies de recours au sein du pouvoir judiciaire pour «éviter l’imitation du pouvoir exécutif dans une instruction en cours».
Me Lutgen aurait «dénigré» Filipe Rodrigues, notamment à travers «des déductions fausses, hâtives et précipitées». Il aurait également «largement dépassé les limites de la liberté d’expression des avocats».
Le parquet ne se serait pas assez mis dans la peau de l’avocat, selon Me Prum, qui regrette «de ne pas avoir obtenu de réponse sur l’indépendance de l’avocat et l’impact d’une procédure disciplinaire». L’avocat de la défense a déclaré, en soulignant la spécificité du procès en cours, que «chaque poursuite contre un avocat est une intimidation d’une autre sorte. On ne peut avoir de justice équitable sans l’indépendance des avocats.»
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«Nous nous rallions à 100 % au réquisitoire du parquet, qui a défendu une position similaire à la nôtre, a indiqué Me Cravatte, avocat de la partie civile, à l’issue de l’audience. Les infractions reprochées à Me Lutgen ont pu être cadrées au cours des deux dernières audiences. (…) Nous sommes confiants en ce qui concerne la décision.»
Il ne conteste toutefois pas les principes invoqués par la défense quant à la liberté d’expression des avocats. «Dans l’affaire qui nous occupe, certains actes ne peuvent être justifiés et avalisés par ces principes. La liberté de l’avocat s’arrête là où commence le droit pénal, a précisé l’avocat. Les limites ont clairement été dépassées avec le dénigrement d’un juge d’instruction auprès des autorités pour le forcer à la réalisation d’une mesure particulière.»
Le prononcé est fixé au 23 décembre.
Sophie Kieffer