Le parquet a requis jeudi au moins quatre ans de prison avec un large sursis et une amende conséquente contre l’enquêteur de la police judiciaire qui a profité de taxes d’interprète fictives entre 2008 et 2014.
Il prenait des fausses heures, il les attribuait à un vrai dossier et il les faisait ensuite payer par le ministère de la Justice. Le système de l’enquêteur était bien rodé jusqu’au moment où tout a éclaté au grand jour. En comparant les taxes d’interprète qu’il avait fabriquées aux listes de présence des visiteurs dressées à la réception de la police judiciaire, l’IGP a pu mettre au jour un certain nombre d’irrégularités. Les données de son badge ont elles aussi appuyé certains soupçons. Son badge pouvait avoir été enregistré une dernière fois à 18 h 17 dans les locaux alors que sa femme avait été payée pour des prestations d’interprète entre 17 h 15 et 21 h 15…
«Je reconnais tout. J’assume tout.» L’interrogatoire du prévenu âgé aujourd’hui de 40 ans à la barre aura été court. À l’ouverture de son procès, le quadragénaire n’a pas longtemps tourné autour du pot. Il a fabriqué des taxes d’interprète fictives. Un peu plus de 21 000 euros ont ainsi atterri sur le compte en banque de sa femme. Elle a encaissé des taxes d’interprète pour des prestations qu’elle n’a pas faites. Car elle a été payée sur la base de documents falsifiés. Avec ce même petit jeu, il a aussi fait parvenir 8 664 euros à son ex-femme. C’était sa solution pour payer la pension alimentaire de leur fille.
Jeudi matin, au deuxième et dernier jour de son procès, les débats ont surtout tourné autour de la peine. «Les faits s’étalent sur une longue période entre 2008 à 2014 et il y en a beaucoup.» Or, d’après l’avocat du prévenu, il y a plus que les aveux circonstanciés à prendre en considération dans ce dossier. «Il a vite démissionné.» Me Frank Rollinger fait le calcul : «Cela fait 66 mois qu’il n’est plus dans la fonction publique. En attendant le jugement, il n’a donc pas profité de son salaire payé par l’État pendant la durée de la suspension.» Et puis, il y a toutes ces années qui se sont écoulées avant le procès. «Le prévenu a le droit de savoir comment sa vie va se poursuivre.»
Sur le point du non-respect du délai raisonnable, le parquet rejoint la défense. Mais pour ce qui concerne l’octroi d’un sursis intégral, il n’est pas d’accord.
«Il était policier depuis 2001. Policiers, magistrats, juges d’instruction : tout le monde dit que c’était un bon enquêteur. Il était apprécié par sa fonction et son charisme.» D’après la représentante du parquet, il ne faut pas oublier une chose dans tout cela : «Il a profité de sa place et de sa fonction pour commettre diverses infractions. Il voulait mener une vie pour laquelle il ne gagnait pas assez. Il est tombé dans cet engrenage dont il n’a pas réussi à sortir.»
Les cocktails à Bora Bora, la Rolex et le sac Chanel…
À côté des taxes d’interprète fictives où il a par ailleurs contrefait plus d’une signature, il y a eu les fiches de salaire falsifiées – il faisait l’objet d’une saisie – pour obtenir un prêt, l’extrait de compte falsifié pour prouver qu’il avait tout payé pour le rachat de sa voiture de leasing. Son but à l’époque : récupérer les papiers de bord de l’Audi A4 qu’il avait déjà revendue…
Toujours pour l’argent, il y a eu la disparition de la caisse de la loterie du FC Titus Lamadelaine comportant 2 500 euros et celle de la cagnotte du bureau avec les 600 euros censés financer le cadeau du départ à la retraite du chef. «Il s’en est servi pour payer ses cocktails lors de ses vacances à Bora Bora.» Dans son réquisitoire, la parquetière a également cité la montre Rolex achetée pour 9 000 euros et un sac à main de la marque Chanel de 2 200 euros découverts lors d’une des perquisitions.
«Il connaît la procédure. Il sait comment il faut s’y prendre. Dans certaines affaires, la seule tactique pour se défendre, c’est le mea-culpa.» Même s’il y a les aveux, le remboursement de tous les frais au cours de l’instruction et que sept ans se sont écoulés depuis, il reste le nombre de gens bernés et la confiance blessée, estime la parquetière. Voilà pourquoi c’est au minimum quatre ans de prison et une amende conséquente qu’il faut prononcer. Vu son absence d’antécédents judiciaires, on pourrait accorder un large sursis au quadragénaire.
Prononcé le 29 avril
Sur le banc des prévenus l’accompagnent sa femme (34 ans), son ex-femme (44 ans) ainsi que deux amis (39 et 40 ans). Ils sont à considérer comme complices ou coauteurs des faux, selon le parquet. Car l’argent a atterri sur leur compte. Pour les deux amis qui n’ont pas vraiment eu de rôle actif et qui se sont plutôt laissés entraîner, «on peut réfléchir à une suspension du prononcé». Ce qui signifierait que leur culpabilité serait bien retenue, mais aucune peine prononcée. L’un avait touché 268 euros et 456 euros. L’autre avait perçu trois virements indus : 1 072 euros, 2 278 euros et 2 793 euros.
En revanche, pour son épouse et son ex, «deux interprètes chevronnées» selon le parquet, une peine de prison s’imposerait. Le parquet propose donc 12 mois de prison avec sursis intégral et une amende appropriée. Aucun des cinq prévenus n’a un casier judiciaire.
La 12e chambre correctionnelle rendra son jugement le 29 avril.
Fabienne Armborst
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