La police judiciaire a mené cette semaine une action coup de poing avec 46 perquisitions. Dans le viseur : des internautes ayant consulté ou envoyé des images représentant de graves abus d’enfants.
Ordinateurs, portables, disques durs, clés USB… s’entassent sur plusieurs tables dans les locaux de la police judiciaire à Hamm. C’est le fruit d’une importante opération menée cette semaine dans le cadre de la lutte contre la pédopornographie. Entre lundi et jeudi, pas moins de 46 perquisitions ont été réalisées chez des personnes résidant au Luxembourg. Une opération qui dans cette ampleur n’a pas de précédent, nous confirme-t-on.
Dans le détail, il s’agit de 14 personnes résidant dans l’arrondissement de Diekirch et 32 dans l’arrondissement de Luxembourg qui sont visées pour avoir consulté et/ou envoyé des images et/ou films à caractère pédopornographique. Entre 35 et 40 % des suspects sont des mineurs. Le plus jeune a 11 ans. Et le plus âgé a plus de 70 ans.
Une centaine de fonctionnaires de la police judiciaire ont été mobilisés lors de cette opération menée sous l’égide de la section protection de la jeunesse et infractions à caractère sexuel. Les perquisitions sont le résultat de différents signalements de la part du NCMEC (National Center for Missing and Exploited Children). Quand les réseaux sociaux (Facebook, Snapchat…) ou Google, par exemple, détectent des images pédopornographiques, ils contactent le NCMEC. Les photos litigieuses ainsi que les données des internautes (adresse IP, e-mail…) sont ensuite transmises, via Europol, aux enquêteurs luxembourgeois. Après vérification des différents signalements, ils en informent le parquet et une enquête est lancée.
«La tolérance zéro»
«La pédopornographie est quelque chose de cruel. Chaque image est l’image d’un enfant qui un jour a été abusé sexuellement. Chaque image représente un drame», rappelle David Lentz, procureur d’État adjoint au parquet de Luxembourg. Le parquet de Diekirch est également engagé dans cette opération dévoilée, vendredi matin, lors d’une conférence de presse.
«Les perquisitions auraient dû avoir lieu au mois de mars/avril. Mais il y a eu la pandémie. En raison de toute l’organisation que cela impliquait, tout a dû être repoussé», précise David Lentz. En matière de pédopornographie ou de maltraitance d’enfants, les parquets appliquent «la tolérance zéro» : «Quand quelqu’un est attrapé, il y a automatiquement des poursuites.»
Ce qui interpelle dans la série de perquisitions menées, c’est le nombre de mineurs. Eux aussi ont consulté, téléchargé, véhiculé et transmis du matériel pédopornographique par internet. «On ne parle pas juste de photos de filles ou de garçons nus, mais de choses très brutales. Quand on voit que l’un a 11 ans, notre société doit se poser des questions», soulève Claude Weis, à la tête des enquêteurs de la protection de la jeunesse. «Aujourd’hui à l’école, tout le monde a un portable. Les parents doivent s’intéresser à ce que leurs enfants font sur leur smartphone.»
«La torturer et la faire souffrir sans limites»
Les perquisitions n’étaient qu’une première étape. Le matériel informatique saisi doit désormais être analysé. «Sur un ordinateur, il y a en moyenne entre 200 000 et 300 000 photos et entre 2 000 et 3 000 films. On regarde tout. On ne sait pas ce qu’on va trouver. Peut-être un abus d’un internaute sur son propre enfant? Certains auteurs ne collectionnent que quelques images, chez d’autres le disque dur grouille de ce contenu…», indique Claude Weis pour donner une idée de la charge de travail qui attend les enquêteurs de la section protection de la jeunesse. Ces derniers analysent aussi les images en vue d’identifier l’une ou l’autre victime au Grand-Duché. «Un indice peut, par exemple, être une bouteille de bière d’une marque luxembourgeoise en arrière-plan…»
Pour illustrer le caractère violent du contenu qui a pu être saisi, Claude Weis cite un chat entre deux hommes adultes. Ils discutent en allemand au sujet d’une photo d’une fille de 10 ans à moitié nue. «Jusqu’où irais-tu?», demande l’un. La réponse de l’autre : «Pendant un week-end sans limites, sans aucun égard, sans règles, sans merci, la torturer et la faire souffrir.» «Le reste je ne peux pas le lire, cela va encore plus loin…», poursuit l’enquêteur qui n’hésite pas à parler d’un «fléau mondial».
En moyenne, une trentaine d’affaires sont citées tous les ans à l’audience. Les peines que risquent les auteurs vont de 251 à 100 000 euros d’amende et entre un mois et cinq ans de prison. À cela s’ajoutent certaines interdictions d’activités impliquant un contact avec des mineurs. «Les mesures d’investigation sont quasiment les mêmes que ce soit un mineur ou un adulte», précise David Lentz. Après l’instruction, le mineur peut être soumis par le parquet à une enquête sociale, à une thérapie, cité devant le tribunal de jeunesse… Si le mineur a au moins 16 ans lors des faits, il peut aussi être cité avec l’accord du juge de la jeunesse devant une chambre correctionnelle/criminelle pour adultes.
En quinze ans de métier, Claude Weis n’a vu qu’une femme s’intéressant à de la pédopornographie. A priori, ce sont uniquement des hommes qui sont visés par les 46 perquisitions. À ce stade de l’enquête, les autorités ne disposent pas d’informations démontrant qu’il existerait un quelconque lien entre les personnes visées.
Fabienne Armborst
«Dans notre matière, il ne peut y avoir de droit à l’oubli»
À une époque où les banques de données de la police et de la justice font débat, Claude Weis, à la tête de la section protection de la jeunesse de la police judiciaire, tient à soulever : «Nous avons besoin de ces fichiers. Nous devons savoir s’il y a cinq ou six ans un suspect a déjà eu une affaire en matière de pédopornographie. Nous devons savoir si par le passé il a déjà abusé d’un enfant. Dans notre matière, il ne peut y avoir de droit à l’oubli.»
Au Luxembourg, les opérateurs téléphoniques doivent sauvegarder durant six mois leurs données. Ce qui signifie que pour identifier un numéro de portable ou une adresse IP, les enquêteurs doivent intervenir dans ce laps de temps. «Ici, on parle clairement de la protection de l’auteur! Car si les autorités étrangères nous signalent un cas de pédopornographie six mois plus tard, l’opérateur n’a plus les données qui nous permettent de faire l’identification», poursuit l’enquêteur.
Le chiffre : 72
Tout signalement ne mène pas forcément à l’identification d’une personne. Une chose est néanmoins sûre: 46 perquisitions d’un coup, on n’avait encore jamais vu cela du côté de la police luxembourgeoise. En comptabilisant cette série, ce sont ainsi 72 nouvelles affaires en matière de pédopornographie qui ont été prises en charge par les parquets de Luxembourg et Diekirch au cours des six premiers mois de cette année. D’ici la fin 2020, on s’attend à avoir atteint les 100 affaires. À titre de comparaison, entre 2015 et 2019, on n’a jamais dépassé les 40.
La section protection de la jeunesse et des infractions à caractère sexuel de la police judiciaire compte 32 membres. Douze enquêteurs opèrent au sein de la protection de la jeunesse à Hamm. Deux d’entre eux s’occupent plus spécifiquement des dossiers de pédopornographie.