Presque les mêmes. Le procès de Me Lutgen a repris devant la 12e chambre correctionnelle après la demande de récusation du président de la chambre devant laquelle il avait débuté.
Un juge d’instruction et un avocat s’affrontent en justice. Chacun défend ses intérêts. Mais l’enjeu de ce procès est bien plus vaste, puisqu’il met en lumière les relations parfois tendues entre ces deux corporations.
La défense de Me Lutgen estime que le procès remet en question l’indépendance de l’avocat et le libre choix de ses moyens d’action, fondement de son métier. Un avocat doit pouvoir écrire à qui il veut sans risquer des poursuites du parquet pour intimidation, comme c’est le cas dans la présente affaire, martelait Me Prum en juillet dernier.
Un premier procès avait débuté face à la 7e chambre correctionnelle avant que le juge d’instruction, Filipe Rodrigues, demande la récusation du tribunal. Partie civile, il se serait senti traité comme l’accusé par un président trop partial à ses yeux.
Le procès a donc repris mardi, plus ou moins du début et dans l’expectative de débats sereins, face à la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, présidée par Marc Thill.
Me Lutgen, qui espère être acquitté, comparait pour intimidation et outrage à magistrat après une plainte du parquet contre lui. Les faits remontent à fin mai 2019. Le 27, un accident mortel a lieu sur le site d’ArcelorMittal à Differdange.
Le juge d’instruction fait poser des scellés sur un disjoncteur, mesure qui risque d’impacter la production et d’entraîner un préjudice de plus de 20 millions d’euros par semaine si la production doit être mise à l’arrêt.
Me Lutgen, en tant que conseil d’ArcelorMittal, voulait, se défend-il, limiter les pertes de son client. D’autant plus que le 30 mai était férié, ce qui risquait de reporter la mainlevée des scellés de plusieurs jours. Inquiet, il aurait tenté de joindre le juge d’instruction dès le 28 au soir. Le lendemain matin, ce dernier lui aurait promis de le tenir informé.
Les informations ne lui parvenant pas assez rapidement, l’avocat se serait impatienté et aurait, entre autres, envoyé un mail aux ministres de la Justice et de l’Économie ainsi qu’au procureur général d’État, Martine Solovieff, qui transmettra le mail au juge d’instruction.
Filipe Rodrigues aurait «dénoncé les faits susceptibles de constituer un délit de manière neutre au parquet général», a indiqué son avocat, Me Cravatte. L’avocat aurait dénigré le juge d’instruction en indiquant qu’il avait déjà rencontré des incidents avec lui par le passé et aurait évoqué «une incurie».
Me Lutgen s’est expliqué mardi à la barre en indiquant qu’il ne s’agissait pas d’entraver la justice, mais «d’anticiper le manque de réactivité du juge d’instruction», car «travailler rapidement ne fait pas partie de ses habitudes».
Vitesse d’exécution
L’un ne serait pas assez rapide, l’autre le serait trop. Le président de la 12e chambre correctionnelle reproche au prévenu d’avoir «réagi de manière véhémente à un moment inapproprié. (…) Les scellés ont été levés le 29 à 19 h. Peu d’affaires sont traitées aussi rapidement.»
Il lui rappelle qu’un avocat dispose d’autres moyens à soulever que d’écrire à un ministre pour faire avancer une affaire. «En exigeant une réponse dans la demi-heure, vous avez été juge d’instruction, vous auriez dû vous douter qu’avec un tel ultimatum, un tel culot, vous n’obtiendriez pas de réponse», estime le magistrat. «Il ne m’a pas répondu parce qu’il est retors», rétorque Me Lutgen.
Le président Marc Thill ne se mettrait pas suffisamment «à (sa) place» au moment des faits. «Si j’avais voulu faire pression sur Filipe Rodrigues, je l’aurais mis en copie du mail. C’est le choix de Madame le procureur général d’État de le lui avoir transmis», se défend-il.
L’avocat de la partie civile n’est pas de cet avis. L’intention d’intimider serait bien donnée. Il explique que 48 heures se sont écoulées entre l’accident et la levée des scellés et moins de 24 heures entre le premier mail de Me Lutgen et la levée des scellés.
Selon lui, «le problème n’est pas que Me Lutgen ait écrit aux ministres, mais ce qu’il a écrit» et «à quel point cela peut être considéré comme de l’intimidation». Il ne s’agit, selon lui, nullement d’une remise en cause de la liberté de l’avocat. Il demande l’euro symbolique en guise de dommages et intérêts.
Filipe Rodrigues explique son absence de réponse à l’avocat par le fait qu’il avait manqué de temps et pensait que Me Lutgen serait tenu informé de la levée des scellés par ArcelorMittal.
Si rien de foncièrement nouveau n’est ressorti de cette nouvelle audience, son contenu a déstabilisé la défense qui, invité à commencer ses plaidoiries, a demandé du temps pour se préparer.
Tout ne se serait pas passé comme elle l’avait prévu – notamment la constitution de partie civile du juge d’instruction qui l’a empêché de témoigner.
Me Prum a également annoncé se réserver le droit d’appeler d’autres témoins à la barre aujourd’hui. Quant au juge d’instruction qui craignait pour l’avancement de sa carrière en raison du mail, son mandat vient d’être prolongé.
Sophie Kieffer
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