Retour face aux juges pour deux jeunes hommes condamnés à 12 ans de réclusion pour viol en réunion. Mais à l’issue de cette première audience face à la Cour d’appel, le doute subsiste toujours.
Le 27 juillet 2017, les deux jeunes hommes auraient séquestré et violé une jeune femme – la maîtresse du colocataire de l’un d’eux – pendant trois heures dans un appartement à Mersch. À la barre de la 13e chambre criminelle, en octobre dernier, ils avaient affirmé que les relations qu’ils avaient eues avec la jeune femme étaient consenties. La victime et le parquet ne partageaient pas cet avis. Pour ce dernier, il n’y avait pas de doute sur l’absence de consentement de la jeune femme : «Elle a dit clairement et de façon répétée qu’elle voulait partir.» Lors de son récit à la barre, elle avait affirmé avoir été prise «comme une marionnette». Ils l’auraient traitée «d’une façon méprisante», avait alors soulevé la parquetière tout en parlant d’un «calvaire de plusieurs heures». Le parquet s’était également appuyé sur les messages vocaux que la jeune femme avait envoyés à une amie en sortant de l’appartement au petit matin. À l’infraction du viol s’était ajoutée la circonstance aggravante qu’ils étaient à deux. Les juges les avaient condamnés à 12 ans de réclusion dont six avec sursis.
Qui dit la vérité ? Les jeunes hommes ont fait appel de ce jugement. Ils se sont présentés une nouvelle fois face aux juges lundi après-midi pour plaider leur cause. «Nous ne sommes pas des violeurs», dit le plus âgés des deux. «Ce serait inhumain d’obliger quelqu’un à faire quelque chose de tel contre son gré. Cela ne me ressemble pas.» Les deux jeunes hommes venus accompagnés de leurs compagnes ont à nouveau nié les faits. À aucun moment, ils n’auraient fait ce qu’on leur reproche et la victime n’aurait jamais manifesté son désaccord. Ils auraient eu un rapport sexuel à trois, mais il n’y aurait pas eu viol. Elle aurait même pris les choses en main face à leur impuissance due à une forte consommation d’alcool, selon les deux jeunes hommes.
«Quel intérêt aurait-elle de raconter la même histoire depuis 2017 et de consulter un psychologue pour soigner ses troubles post-traumatiques si elle avait tout inventé ? Donc, toutes les expertises des médecins sont fausses ?», interroge la présidente de la Cour d’appel. Elle a essayé de mettre les deux jeunes hommes face à leurs contradictions dans le dossier et à leurs versions aussi vacillantes que leur vigueur ce soir-là, selon leurs dires. «On a parlé de sexe et d’une partie à trois. Elle a accepté si le colocataire participait. Comme il ne nous a pas rejoints parce qu’il était au téléphone avec son amie, elle a dit qu’on avait qu’à y aller tous les trois alors», raconte un des jeunes hommes. «Elle était libre de partir. Les portes étaient ouvertes», ajoute le deuxième.
«Pourquoi avouer ce qu’ils n’ont pas commis?»
Depuis ce soir-là, la victime vivrait dans l’angoisse. Fraîchement diplômée d’un master avec une grande distinction quelques semaines avant les faits, elle n’aurait pas été en mesure d’embrasser depuis la brillante carrière à laquelle elle était promise en raison de sa grande souffrance psychologique, souligne son avocat Me Penning. La jeune femme a fait appel de la décision du jugement de première instance au civil et espère obtenir les dommages et intérêts de 144 000 euros demandés.
L’avocate du plus âgé des deux jeunes hommes a tenté de pointer les incohérences entre les divers témoignages de la jeune femme auprès du juge d’instruction, de la police, de l’expert, de son amie et du tribunal. «On reproche aux deux prévenus leurs imprécisions, mais pas les siennes», soutient-elle avant d’indiquer que si la victime avait tenté de marquer son mécontentement, elle n’aurait pas été suffisamment claire pour que les prévenus la comprennent. Elle aurait même tenu des propos provocants et dévalorisants à leur endroit.
L’absence de consentement ne serait donc pas clairement établie, selon l’avocate, de même pour les faits de violence et de contraintes physiques. De plus, aucun indice de viol ou de blessures n’auraient pu être constaté par le gynécologue qui l’a examiné quelques jours après les faits. L’intention criminelle ne serait pas donnée non plus, selon elle. Les deux jeunes hommes peuvent avoir mal interprété les intentions de la victime. Elle demande l’acquittement au bénéfice du doute ou une peine de prison moins sévère et assortie du sursis le plus large possible. Elle conteste les montants demandés par la partie civile pour préjudice moral et matériel et demande également l’acquittement sur ce point.
L’avocate du deuxième prévenu la rejoint et se lance dans une plaidoirie dont l’argumentaire est similaire et tend à montrer les prévenus sous un jour favorable en appuyant sur les contradictions émises par la victime. «Pourquoi avouer un viol qu’ils n’ont pas commis ?», interroge-t-elle, convaincue que le verdict était déjà tombé dès le début de la première audience en première instance. «Les juges ont basé leur intime conviction sur les seules déclarations de la victime.» Pour elle aussi, la victime aurait joué le jeu et omis de leur dire qu’elle avait un petit ami. La jeune femme aurait pris conscience pendant la nuit qu’elle risquait de passer pour une fille facile si son aventure était éventée, comme elle l’aurait précisé à son amie.
L’avocate n’a malheureusement pas pu finir de développer ses arguments mardi. Faute de temps, l’audience, et du coup aussi la plaidoirie de l’avocate, a été interrompue. Elle reprendra mercredi après-midi avec la fin de cet argumentaire et le réquisitoire du procureur.
Sophie Kieffer