Faute de preuves tangibles et face à la faiblesse du dossier répressif, le bénéfice du doute l’a emporté. Andris, un sans-abri, évite la prison pour meurtre.
Andris, petit homme râblé et nerveux d’une cinquantaine d’années, va pouvoir sortir de prison où il dort depuis un an. Sa ténacité à la barre et les lacunes du dossier répressif ont payé : il a été acquitté du meurtre d’Attila, un sans domicile fixe comme lui, au bénéfice du doute. Durant deux audiences face à la 13e chambre criminelle, il n’avait pas plié et avait rendu coup pour coup aux attaques lancées par la présidente pour lui faire avouer le crime. La deuxième audience avait tourné à l’affrontement. Andris avait réponse à tout sauf à la question de l’identité du tueur. Ce n’était pas lui, insistait-il. Il avait quitté la région au moment des faits. Pourtant, tout semblait l’accuser. Face au doute, les juges ont préféré s’abstenir et le meurtrier d’Attila court toujours.
Le corps de la victime, un jeune Hongrois de 26 ans, avait été retrouvé en état de décomposition avancée à proximité d’une cabane dans un jardin ouvrier de Merl par un riverain venu aux fraises. Les initiales d’Andris figuraient sur la porte de la cabane et Andris avait reconnu avoir occupé les lieux pendant quelques mois. Seulement, impossible d’estimer avec précision la date du crime. Il n’était pas impossible que le corps se soit trouvé à l’endroit où il a été découvert depuis plus longtemps que la date retenue pour la commission des faits, le 23 mai 2018. Le médecin du SAMU l’avait daté à trois mois et la légiste de la police l’avait ramené à une semaine avant la découverte. Andris disait avoir vécu dans la cabane de jardin jusqu’au 26 avril 2018.
«Des éléments matériels inexistants»
Attila serait succombé des suites d’un coup de couteau à l’abdomen. Un couteau pouvant correspondre à l’arme du crime et comportant des traces d’ADN des deux protagonistes sur son manche et sur sa lame avait été trouvé dans les poubelles des toilettes d’une station-service à Strassen. Andris avait tenu à sa version comme un chien à son os : il avait utilisé le couteau pour couper des pansements pour soigner son compère blessé à l’épaule puis l’aurait jeté. L’explication est contestée et contestable, mais l’autopsie – étant donné l’état du corps – n’a pas permis de révéler avec certitude si le couteau retrouvé a bien servi à meurtre. La légiste ne peut l’affirmer ni l’infirmer. Autres éléments qui ont joué en faveur d’Andris : la disparition d’un témoin clé, un SDF qui aurait parfois partagé la cabane avec les deux hommes – bien qu’Andris ait toujours affirmé y avoir vécu seul – et une enquête jugée pas assez minutieuse sur le lieu du crime.
Face à un Andris qui ne démordait pas et aux lacunes du dossier, la chambre criminelle avait, quelques jours après la fin des débats, demandé une rupture du délibéré afin de pouvoir diligenter des examens complémentaires. Au final, ils n’ont rien changé. L’avocate de la défense continuait de plaider l’acquittement et le parquet requérait toujours une peine de 25 ans de prison ferme. Pour le procureur, «il est indiscutable qu’Andris est l’auteur des faits.» Il en veut pour preuve le couteau, le manque d’explications crédibles du prévenu et ses propos contradictoires, entre autres indices.
Son avocate avait estimé qu’«on n’a rien sinon des questions ouvertes». Elle avait pointé «des éléments matériels inexistants». «La cause du décès n’a pas pu être déterminée par la légiste. Il reste un doute», avait-elle affirmé. Comme son client, elle avait déconstruit tous les éléments du dossier en s’appuyant sur les zones d’ombre. Le tribunal n’aurait pas d’éléments suffisants pour prouver la préméditation, donc l’assassinat, ni le meurtre ou les autres infractions qui étaient reprochées à Andris. La balance de la justice a penché en son sens.
Sophie Kieffer