L’affaire remonte à 2013. Y a-t-il eu falsification du contrat de travail d’une éducatrice graduée afin d’obtenir l’agrément pour l’ouverture d’une nouvelle crèche? Le tribunal devra trancher.
«Si je n’avais pas été à la recherche d’un nouveau travail, je pense que je n’aurais jamais découvert tout cela…» On est à l’automne 2013. Sophie* vient de se faire licencier. Elle travaillait dans une crèche dans le sud du pays. Pour une société qui exploite un certain nombre de crèches. Le contrat que la jeune femme tient en main dit qu’elle a été «employée en tant qu’éducatrice graduée».
Lors de son embauche, on lui a proposé d’occuper un poste de «chargée de direction» à l’ouverture d’une nouvelle structure encore en construction. Mais d’après ses dires, elle n’a jamais signé un contrat dans ce sens. Sa lettre de licenciement, elle l’a reçue avant. Au final, elle n’aura travaillé que six petites semaines, dont deux dans la nouvelle structure.
En revanche, Sophie doit constater que l’agrément pour cette crèche a été obtenu en son nom. C’est en épluchant la liste des crèches pour enfants agréées par l’État, dans le cadre de la recherche d’un nouvel emploi, qu’elle fait cette découverte. Lorsqu’elle contacte le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse pour avoir des explications, elle apprend qu’on dispose d’un contrat de travail d’elle comme «chargée de direction» de la structure.
«Il a dû y avoir un montage»
La jeune femme détentrice d’un master en sciences de l’éducation, âgée aujourd’hui de 34 ans, est formelle : «Je n’ai jamais signé de contrat en tant que chargée de direction. Il a dû y avoir un montage…»
D’où sa plainte avec constitution de partie civile. Le service régional de police spéciale (SRPS) de Luxembourg a enquêté. Lors d’une perquisition au siège de la société, impossible de mettre la main sur l’original du double du contrat de travail de Sophie. On en a bien trouvé un avec sa signature, mais la première page – celle où est spécifiée la dénomination du poste – diffère. Et le contrat recueilli au ministère n’est pas tout à fait le même non plus. Au total, il existe donc trois versions de la première page du contrat litigieux.
Une explication pour l’existence de ces trois contrats, le gérant à la tête des crèches en 2013 n’en a pas vraiment. L’homme de 44 ans qui se retrouve aujourd’hui sur le banc des prévenus pour «faux en écritures» relate que la structure familiale s’est vite développée. À l’époque, ils auraient compté plus de 100 employés. «Quelque chose a dû aller de travers au moment de faire les copies.»
«Aucun motif» pour une falsification
«Bizarre que tous les contrats soient là sauf celui qui nous intéresse», l’interrompt le président de la 18e chambre correctionnelle. Il y a la solution qu’en cours de route Sophie ait changé de fonction et que par facilité la première page du contrat ait été échangée pour l’envoyer directement au ministère… Mais cela, il ne l’a pas fait, affirme le prévenu.
Il conteste aussi fermement une falsification du contrat en vue d’obtenir le fameux agrément pour la nouvelle crèche : «Je n’avais aucun motif de faire cela. On avait assez de personnel dans le groupe qui aurait pu occuper la fonction de chargé de direction pour l’obtenir.» La nouvelle structure devait accueillir plus de 39 enfants. Ce qui fait qu’une certaine qualification et une certaine expérience professionnelle étaient requises de la personne responsable.
«Vous embauchez quelqu’un. Et pendant sa période d’essai, vous demandez un agrément pour une crèche en son nom… alors que vous ne savez pas si vous allez garder la personne à long terme», s’étonne encore le président.
Le licenciement 8 jours après l’agrément
Le représentant du parquet soulève la vitesse à laquelle tout s’est enchainé : «En date du 3 septembre, la crèche reçoit l’agrément. La lettre de licenciement est du 11 septembre.» Il constate également que le ministère n’a jamais été informé du licenciement de Sophie : «Et jamais un nouvel agrément n’a été demandé. Comment est-ce possible?» – «Oui, on n’a pas respecté les délais. On était un peu en retard pour trouver une nouvelle personne.» «Mais il n’y a pas eu falsification délibérée», insiste le quadragénaire. D’ailleurs, depuis cette affaire, il ferait «parapher chaque première page de tout contrat de travail». Aujourd’hui il travaille dans l’immobilier. En 2017, il a tout vendu.
La société qui exploite les crèches a été rachetée. Elle se retrouve aujourd’hui aux côtés donc de son ex-gérant sur le banc des prévenus. Mais elle n’est pas d’accord. Et demande l’acquittement. Par la voix de son avocate Me Catherine Delsaux-Schoy, elle a fait savoir que l’ex-gérant a caché toute cette affaire pénale au repreneur. Impossible de se défendre sur ces faits de 2013. L’équipe en place n’est plus la même. Bref, d’après elle, les faits litigieux ne seraient imputables qu’à l’ex-gérant.
Les trois heures d’audience, jeudi, n’auront pas suffi pour venir à bout des débats. Suite et fin mardi matin avec les plaidoiries de la défense et le réquisitoire du parquet.
* Le prénom a été changé
Fabienne Armborst