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Luxembourg : un avocat sur le banc des prévenus


Pour son procès, l'avocat s'est présenté sans sa robe. Il s'est fait assister par un confrère. (illustration AFP)

En 2012, le quadragénaire avait omis de vérifier l’origine des fonds d’un client, 11500 euros au total, qui avaient transité par son compte. Mardi matin, il était cité devant le tribunal correctionnel.

Tout au long de la relation d’affaires avec un client, un avocat est soumis à plusieurs obligations de vigilance. Au moment de l’identification du client, il doit ainsi recueillir et enregistrer des informations sur l’origine des fonds et les types de transactions pour lesquelles le client le sollicite. Il doit également informer de sa propre initiative la Cellule de renseignement financier du parquet (CRF) de tout fait pouvant constituer un indice de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

Pour ne pas avoir fait les vérifications requises quand 11 500 euros ont transité sur son compte tiers en juin-juillet 2012, un avocat de 45 ans était convoqué mardi à la barre de la 18e chambre correctionnelle.

«C’est la montagne qui accouche d’une souris. On parle de 11 500 euros. Au départ tout le monde pensait que je me les étais mis dans la poche… Mais ce n’étaient pas mes honoraires, mais de l’argent qui a au final atterri dans les caisses de l’État.» À l’origine de cette affaire, l’avocat fait état d’une «bête histoire de rabattement de faillite». À l’époque, un client dont la société est tombée en faillite pour non-paiement de TVA le contacte. Et il le charge de relever opposition. Sur son compte tiers, l’avocat reçoit trois virements de respectivement 7 000, 2 500 et 2 000 euros, soit 11 500 euros au total.

«J’ai fonctionné un peu comme un automate»

«C’était l’argent pour payer l’Enregistrement.» Le prévenu ne conteste pas que l’argent a transité par son compte. Mais raconte avoir «fonctionné un peu comme un automate» : «À l’époque, c’était la fin de l’année judiciaire. Nos cerveaux ne travaillent plus de la même manière avant et après les vacances.»

Que l’argent n’a pas atterri dans ses poches, il l’a répété haut et fort face aux juges. Or ce n’est pas là où le bât blesse. «En votre qualité d’avocat, votre obligation de vigilance reste toujours la même», a tenté de lui inculquer le président.

Si les trois virements ont fait l’objet d’une affaire pour abus de biens sociaux contre le client, la section antiblanchiment de la police judiciaire a effectué dans l’étude de l’avocat une perquisition. À entendre l’enquêteur, cette dernière fut rapidement terminée. Car ils n’avaient trouvé aucun document susceptible d’établir que l’avocat s’était conformé à ses obligations professionnelles. «Idéalement on aurait dû trouver une copie de la carte d’identité du client, un certificat du bénéficiaire économique, un document renseignant l’origine des fonds, l’évaluation des risques de son activité…», a-t-il précisé.

«Je connaissais le client depuis huit ou neuf ans», tentera de se défendre le prévenu. Or pour le parquet, le fait de connaître personnellement le client est insuffisant. «Il déclare le connaître depuis 2010. En 2012, ils se connaissaient donc depuis deux ans.» Bref, il n’a pas démontré qu’il a «acquis une connaissance adéquate de son client, de ses activités, de son profil de risque…».

Le parquet requiert une amende de 15 000 euros

«De mon point de vue, c’est une tempête dans un verre d’eau. Je ne suis pas un avocat d’affaires, je n’ai que du contentieux», ajoutera le prévenu avant de laisser la parole à son avocat. Me Ahmed-Boudouda plaidera l’acquittement. «Être avocat et être cité comme prévenu dans une audience publique n’est pas très agréable. Mon client a déjà subi une peine naturelle dans cette affaire.» Il insistera sur le fait que l’avocat n’a pas profité des fonds. Et d’ajouter : «Nous sommes des avocats. On ne peut faire une déclaration de soupçon pour chaque client qui entre dans notre étude.»

La réponse du parquetier : «Il n’appartient pas aux avocats de rechercher des infractions, mais en cas de soupçons, il y a eu lieu de les dénoncer.» Il ajoute : «En 2009, il a saisi le bâtonnier après avoir reçu des fonds sur son compte tiers dont l’origine n’était pas connue.» Une preuve selon le parquet qu’«il savait manifestement comment cela marche».

L’éventail des peines pour les infractions reprochées est élevé. La loi prévoit entre 12 500 et 5 millions d’euros d’amende. Au final, le premier substitut réclamera une amende de 15 000 euros contre l’avocat.

Prononcé le 23 janvier.

L’Ordre des avocats réclame l’euro symbolique

«L’Ordre des avocats est présent pour montrer l’importance que nous accordons à la lutte contre le blanchiment.» Représenté par le bâtonnier sortant, Me François Prum, le barreau s’est constitué partie civile pour l’euro symbolique dans cette affaire. «Quand un membre viole les règles que la législation impose, notre image est un peu ternie.» Par la même occasion, il a rappelé que miseptembre 2018 le barreau s’est doté, avec l’objectif de préciser les diligences professionnelles à respecter par les avocats, d’un règlement relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en imposant une série d’obligations à ses membres. Et de soulever que régulièrement le barreau organise des formations pour les avocats auxquelles assistent des membres du parquet et de la Cellule de renseignement financier (CRF).

Fabienne Armborst