Le procès de l’enquêteur de la police judiciaire qui a profité de taxes d’interprète fictives entre 2008 et 2014 s’est ouvert mercredi après-midi. Sur le banc des prévenus l’accompagnent son épouse, son ex et deux amis.
C’était il y a sept ans. Entre collègues, ils devaient récupérer la cagnotte afin d’acheter le cadeau pour le départ à la retraite de leur chef. Mais impossible de mettre la main sur l’enveloppe contenant quelque 600 euros. On est dans les locaux de la police judiciaire.
Aujourd’hui, sept ans plus tard, les collègues se retrouvent à témoigner à la barre du tribunal correctionnel. La disparition de la cagnotte n’est qu’un détail dans cette affaire qui occupe depuis mercredi après-midi la 12e chambre correctionnelle. L’affaire a pris une tout autre envergue.
C’est, dans le bureau de l’enquêteur absent, et plus particulièrement dans le broyeur de documents, la découverte de restes d’une fiche de salaire comportant une saisie ainsi que d’une taxe d’interprète retrouvée déchirée dans la poubelle qui ont mis la puce à l’oreille des collègues. Tout cela ne collait pas avec les vacances de 13 000 euros qu’il passait à Bora Bora avec sa femme…
L’affaire s’est retrouvée entre les mains de l’IGP (Inspection générale de la police). Et l’enquêteur soupçonné par ses collègues a passé une quarantaine de jours en détention préventive. Car l’enquête a vite mis au jour qu’en sa qualité d’enquêteur de la police judiciaire il avait fabriqué des taxes d’interprète fictives. Un système avec lequel il pensait à l’époque financer son train de vie.
Il y est allé cash mercredi après-midi à l’ouverture de son procès. «Je me suis retrouvé dans un cercle vicieux. À l’époque, je vivais au-dessus de mes moyens : les vacances, la voiture, les dépenses… J’ai pris le chemin le plus simple, comme j’avais affaire au quotidien avec des réquisitions d’interprètes», relate le prévenu âgé aujourd’hui de 40 ans. Face aux juges, il ne cache pas sa «situation financière désastreuse» de l’époque. «Oui, je n’ai même pas dissimulé les traces dans ma poubelle. Il y avait peut-être une certaine arrogance…»
«Tout était faux… sauf l’argent sur le compte»
Grâce à son petit jeu, un peu plus de 21 000 euros ont atterri sur le compte en banque de sa femme. Elle a encaissé des taxes d’interprète pour des prestations qu’elle n’a pas faites. Car elle a été payée sur la base de documents falsifiés.
Mais son ex-femme en a aussi profité. Entre septembre 2013 et juin 2014, la somme totale de 8 664 euros a été virée sur son compte en banque. 1 026 euros supplémentaires étaient sur le point d’être payés. Mais l’IGP a débarqué juste avant au ministère de la Justice. «C’est la solution qu’il avait trouvée pour payer la pension alimentaire de notre fille. La situation était très compliquée. Je n’avais pas le choix. J’ai accepté, sachant que ce n’était pas correct», expliquait-elle mercredi après-midi. Elle aussi se retrouve aujourd’hui sur le banc des prévenus. Tout comme donc l’épouse et deux autres amis du prévenu.
L’enquête a mis au jour d’autres magouilles dès 2008. L’un des amis a touché 268 euros et 456 euros. L’autre a perçu trois virements indus : 1 072 euros, 2 278 euros et 2 793 euros. Pour eux aussi, l’enquêteur avait fabriqué de faux documents leur permettant de toucher cette taxe réservée aux interprètes. Sauf que d’après les listings saisis au sein de la police judiciaire, impossible qu’ils aient travaillé pour elle sur de vrais dossiers aux dates prétendues. «Tout est faux du début jusqu’à la fin. La seule chose réelle est l’argent qui est arrivé sur votre compte», résumait mercredi le président.
L’un des amis avait viré 1 000 euros à l’enquêteur. Ce qui soulève quelques questions. «C’était une dette que j’avais envers lui. Si je veux cacher de l’argent, je ne l’aurais pas fait comme ça. À ma connaissance il n’y avait aucun deal entre nous», se défend cet ami aujourd’hui.
«J’ai remboursé tout le préjudice à l’État»
D’après l’enquête, le prévenu a contrefait plus d’une signature, dont celle d’un collègue… Mais les faux ne s’arrêtent pas avec les taxes d’interprète. En raison de la saisie sur son salaire, il lui restait 1 505 euros par mois. Afin d’obtenir un nouveau prêt, il a donc falsifié sa fiche de salaire. Toujours à court d’argent, il s’était aussi emparé de la caisse de la loterie du FC Titus Lamadelaine comportant 2 500 euros. Cet argent lui aurait servi à boucher un autre trou financier. Quand il a eu vent de l’enquête, il aurait aussi tenté de faire réapparaître l’argent de la cagnotte au bureau. Mais il était trop tard.
Aujourd’hui, le quadragénaire ne travaille plus dans la police. «J’ai payé toutes les dettes et remboursé tout le préjudice à l’État», a-t-il fait savoir hier aux juges. Le procès se poursuit ce jeudi matin.
Fabienne Armborst