Une jeune fille importunée, son frère blessé au couteau. Tout paraissait clair jeudi en début d’audience, mais le prévenu a essayé d’embrouiller l’esprit de ses juges.
Tout aurait commencé une semaine avant les faits à la Kinnékswiss dans le parc municipal de Luxembourg-ville. Christine se serait fait lourdement draguer par Joao alors qu’elle passait cet après-midi d’août 2020 avec une amie. Joao n’aurait accepté de les laisser tranquilles qu’après avoir reçu une gorgée du vin rosé qu’elles buvaient. Le prévenu ne se souvient pas de cette rencontre.
La semaine suivante, il serait revenu vers Christine, installée au même endroit avec des amies. À nouveau, la jeune fille de 17 ans au moment des faits lui aurait demandé de les laisser en paix. Le ton serait monté. «Il m’a dit que j’avais de la chance d’être une fille, sinon il m’aurait déjà frappée, qu’il pouvait me violer, qu’il avait fait de la prison et que je ne savais pas à qui j’avais affaire», a raconté la jeune fille jeudi, à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. «J’ai accepté de lui donner mon compte Snapchat pour qu’il parte, parce que je commençais à avoir peur.» Le prévenu aurait alors voulu parler au frère de la jeune fille alors qu’ils ne se connaissaient pas.
Christine en aurait parlé à son aîné. Les esprits se seraient échauffés entre les deux hommes sur les réseaux sociaux. Le prévenu aurait menacé André à plusieurs reprises. Cela fait «longtemps qu’il n’avait plus cassé la tête à quelqu’un». «Il m’a menacé de me mettre une balle dans la tête», réplique Joao à la barre. Rendez-vous est pris pour le lendemain, le 26 août 2020 à 15 h. Joao aurait tiré un couteau et planté André avant de prendre la fuite, de balancer le couteau dans la Pétrusse et de partir à Ettelbruck où il aurait donné un coup avec un autre couteau à un de ses amis parce qu’il n’aurait pas voulu lui donner son blouson. Il se serait fait arrêter par les policiers après avoir balancé le couteau à l’eau.
Interrogé par la présidente de la 13e chambre criminelle, le jeune homme de 21 ans a, avant que son avocat ne demande une interruption d’audience, prétendu ne plus se souvenir de rien. Joao a joué avec les nerfs des magistrats, s’est enfoncé dans les différentes versions qu’il a données des faits. Il aurait avoué sous la pression des enquêteurs et du juge d’instruction, l’expert psychiatre se serait trompé dans ses conclusions et aurait oublié de noter des parties de son témoignage, quelqu’un aurait pris son téléphone et écrit des menaces à sa place, ce n’est pas lui qui aurait parlé à la jeune femme, il a demandé où étaient les témoins à charge et a oublié que les messages échangés sur Snapchat permettent de retracer une certaine chronologie des faits… Bref, il n’a rien fait pour plaider sa cause. Son avocat aura du mal à rattraper cette attitude.
On n’insulte pas les mamans
Le jeune homme né en 1999 en Guinée-Bissau et arrivé au Luxembourg à 17 ans avec sa mère et une partie de sa fratrie reconnaît le coup de couteau à André. Il s’est rendu le lendemain des faits à la police et est en détention préventive depuis. Il n’aurait pas supporté qu’André insulte sa mère. Une question de culture, selon son avocat. Ce à quoi la présidente de la chambre rétorquera qu’il souffre d’un problème de comportement : «Il a le droit d’insulter les autres, mais les autres n’ont pas le droit de l’insulter.» Un comportement qui lui aurait valu plusieurs rapports disciplinaires au centre pénitentiaire.
Les versions des faits sont diamétralement opposées. Celle de Joao est difficile à suivre. André lui aurait écrit, l’aurait insulté et lui aurait donné rendez-vous. Se sentant menacé, il aurait emprunté un couteau de cuisine neuf à un ami pour se rassurer et se protéger, argumente son avocat pour écarter l’élément de préméditation qui pourrait lui valoir une condamnation pour tentative d’assassinat. Il ne se serait pas non plus agi d’une tentative de meurtre. Selon l’avocat, Joao n’aurait pas eu l’intention de donner la mort. Il se serait enfui après les faits, réalisant ce qu’il venait de faire, explique-t-il avant de demander l’acquittement pour ce chef d’inculpation. Il conteste également les chefs de vol et de coups et blessures volontaires à Ettelbruck en avançant l’argument de l’amitié entre Joao et sa victime présumée. Enfin, il a prié les juges, s’ils devaient condamner le prévenu pour tentative de meurtre – «je n’espère pas pour tentative d’assassinat» – de prononcer une peine adaptée assortie d’un sursis.
André a eu de la chance. Sa grande taille, il mesure 2,10 mètres, y est sans doute pour quelque chose. La plaie occasionnée n’était que superficielle et aucun organe vital ou artères n’ont été touchés. Cependant, a précisé l’expert médico-légal, si l’angle d’entrée avait été droit, il aurait pu en être tout autre. Son collègue chargé de l’expertise psychologique de Joao a estimé qu’il ne présentait pas d’abolition ou d’altération du discernement au moment des faits. La suite ce vendredi matin avec notamment le réquisitoire du parquet.
Sophie Kieffer