Deux jeunes hommes sont accusés d’avoir violé une jeune femme lors d’une nuit d’été de 2017. Si les faits sont graves, le parquet a requis des peines inférieures à celles prononcées en première instance.
Le 27 juillet 2017, trois jeunes gens passent une bonne soirée. Ils dînent ensemble, boivent un peu trop et finissent la soirée sur la terrasse de l’un d’eux. L’ambiance est a priori légère. Les jeunes s’amusent, flirtent, comparent leurs tatouages. La nuit s’annonce chaude. Elle les hante encore aujourd’hui.
La jeune femme accuse les deux jeunes hommes de viol et de séquestration dans l’appartement de Mersch qui avait abrité leurs ébats. En octobre dernier, les deux jeunes hommes ont été condamnés à 12 ans de réclusion, dont six avec sursis, pour viol en réunion par la 13e chambre criminelle. Les juges de première instance n’avaient pas cru la thèse des deux prévenus qui prétendent que les relations sexuelles qu’ils ont eues cette nuit-là, étaient consenties. La jeune femme affirme le contraire.
Les parties se rejettent la faute face à la Cour d’appel depuis lundi et avancent des problèmes de compréhension ou de manière de s’exprimer. La défense laisse sous-entendre que la jeune femme savait ce qu’elle faisait et aurait été assaillie de regrets au petit matin quand elle a réalisé qu’elle venait de passer la nuit avec deux hommes qui ne sont pas son compagnon. Les messages envoyés à une amie sont interprétés à charge et à décharge par les deux parties. «Nous ne sommes pas des violeurs», a dit l’un des deux jeunes hommes. «Ce serait inhumain d’obliger quelqu’un à faire quelque chose de tel contre son gré. Cela ne me ressemble pas.» La jeune femme aurait à tout moment pu arrêter et partir, selon eux. Elle se serait même montrée provocante envers leur virilité et dominante d’après les deux jeunes hommes qui ont du mal à se souvenir de l’enchaînement des évènements cette nuit-là.
Tous trois regrettent, car cette nuit a changé leurs vies et qui ils sont aujourd’hui. L’un des deux jeunes hommes aurait sombré dans l’alcool et aurait été condamné en 2018 pour violences envers son ex-compagne. Décrite comme une brillante étudiante promise à une belle carrière par son avocat, la jeune femme, submergée par l’angoisse, serait incapable de mener une activité professionnelle. Elle demande 144 000 euros de dommages et intérêts. À la barre, elle répète, la voix tremblante, que quand elle a voulu rentrer chez elle, ils l’auraient maintenue, pris son téléphone, baissé son pantalon et dit qu’elle n’irait plus nulle part. Pendant trois heures durant, ils se seraient relayés. La juge a du mal à comprendre pourquoi elle n’a pas cherché à appeler le colocataire à l’aide. «Je ne pouvais rien dire», lance la jeune femme dans un sanglot avant que la juge n’ordonne le huis clos pour lui permettre de s’expliquer à nouveau sur cette nuit-là.
«Le scénario d’un film porno»
Aucun indice de viol ou de blessures n’aurait pu être constaté par le gynécologue qui a examiné la jeune femme quelques jours après les faits, selon une des avocates des prévenus lundi qui a plaidé l’acquittement au bénéfice du doute pour son client. «Les juges ont basé leur intime conviction sur les seules déclarations de la victime», estime l’avocate du deuxième prévenu. «Vous la dépeignez comme une jeune femme qui a eu ce qu’elle méritait, s’emporte l’avocat de la victime. Les prévenus ont suivi le scénario d’un film porno.»
Le parquet estime que la jeune femme se serait mise «en mode survie» une fois qu’elle avait réalisé qu’elle ne s’en sortirait pas, toutes ses tentatives pour décourager et remballer les deux jeunes gens ayant échoué. «Au petit matin, elle pleure, parce qu’elle réalise que c’est fini, estime la parquetière. Ses réactions sont typiques de celles de victimes de viol. Dans la majorité des cas, les victimes ne se défendent pas, car elles sont dans un état de sidération et de dissociation.»
Dans un premier temps, elle n’aurait pas réalisé ce qui venait de lui arriver. Selon la parquetière, ce n’est qu’en racontant sa nuit à sa sœur et son amie qu’elle aurait compris et aurait décidé de porter plainte. Son état physique et psychique, sa crise de panique à la barre mercredi, corroboreraient les faits reprochés aux deux jeunes hommes qui répètent ne jamais avoir voulu lui faire de mal et que leurs existences sont, elles aussi, en jeu. Ils ne s’excusent cependant pas, souligne la présidente. Selon la représentante du parquet «leur version ne tient pas la route», «elle n’était qu’un objet sexuel pour eux» et en porterait «les séquelles post-traumatiques constatées par trois médecins».
Pour la représentante du parquet, la jeune femme aurait bien dit «non», mais les jeunes hommes ne l’auraient pas respecté. «Ils étaient dans un état d’ivresse, estime-t-elle. À deux, ils étaient plus forts et se sont entraînés l’un l’autre» à commettre «un fait grave» pour lequel ils ne montreraient «pas de prise de conscience et pas d’empathie envers la jeune femme».
Elle requiert l’acquittement en matière de séquestration et indique que «les peines prononcées en première instance étaient trop sévères». Elle requiert leur réduction en faveur de peines de 7 ans de réclusion pour chacun d’eux et ne s’oppose pas à un sursis partiel. Le prononcé aura lieu le 16 juin.
Sophie Kieffer