Piotr aurait basculé dans la violence conjugale après avoir perdu son emploi. Une fuite en avant qui s’est achevée dans le hall en verre de la gare centrale en février.
Après un début de vie d’adulte chaotique, Piotr pensait avoir trouvé un havre de paix. D’origine polonaise, ce fils d’enseignants s’installe au Luxembourg en 2014 après avoir purgé huit ans de prison en France pour des faits de criminalité organisée – divers vols avec violence, cambriolages et braquages – et travaille comme électricien.
Un an plus tard, il rencontre Eva, une mère célibataire de deux enfants, dans un cabaret. Il l’aide à sortir de ce milieu. Le jeune couple s’installe ensemble et décide de faire venir les deux enfants de la jeune femme de Roumanie où ils vivaient chez leur grand-mère maternelle.
Tout allait pour le mieux, a témoigné la trentenaire à la barre de la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg, jeudi. Jusqu’à ce que Piotr perde son emploi en 2020. «Il est devenu triste, il pleurait de plus en plus souvent», raconte Eva, «Il disait qu’il ne pouvait plus assurer le quotidien de sa famille.»
Petit à petit, il se serait isolé, n’aurait plus voulu participer aux activités, serait devenu nerveux, agressif et paranoïaque. Il se serait cru suivi, ses comptes sur les réseaux sociaux auraient été piratés. Il aurait été persuadé qu’Eva y était pour quelque chose. Cette tendance à la paranoïa a été relevée par l’expert chargé de dresser son portrait psychologique. Ce dernier juge que son discernement n’était pas aboli au moment des différents faits de coups et blessures qui lui sont reprochés.
«Il n’était plus le même»
La jeune femme dit ne plus le reconnaître. Entre décembre 2020 et le 21 février de cette année, il aurait été à plusieurs reprises violent avec elle. Jusqu’à la fois de trop. Il aurait commencé par s’en prendre à la fille d’Eva avant de saisir son épouse par le cou et de la pousser brutalement vers la voiture qu’elle était en train de laver.
«J’ai vu dans son regard à ce moment-là qu’il n’était plus le même», note Eva à la barre. «J’ai assisté à une scène relativement violente», se souvient une voisine venue témoigner. Il y avait beaucoup de cris.» La police arrive et une procédure d’éloignement du domicile est enclenchée. Le monde de Piotr continue de s’effondrer.
Le 21 février, celui qui se dit «explosif» serait devenu violent avec l’adolescente, voyant qu’elle téléphonait à une amie «presque à poil». Le ton serait monté entre eux et «un coup est parti». Eva aurait, depuis l’extérieur de la maison, entendu sa fille l’appeler à l’aide.
Elle se serait précipitée à l’intérieur avant de ressortir tirée par Piotr qui a dit vouloir l’emmener à la police pour qu’ils puissent s’expliquer devant des personnes neutres. Une semaine avant, Eva aurait évoqué son envie de divorcer. La procédure est en cours.
À l’expert psychiatre, Piotr a raconté avoir beaucoup travaillé pour réussir, construire une belle vie à sa famille, avoir un emploi stable et pourquoi pas pouvoir s’installer à son compte. En proie à une remise en question de sa vie et à une sévère impression d’échec, l’installation de sa belle-mère venue de Roumanie aurait participé à le faire basculer.
Cette dernière lui aurait notamment confié des détails sur le passé d’Eva qui lui auraient «fait changer l’image qu’il avait d’elle» et perdre encore plus le fil de sa vie.
Après avoir quitté le domicile familial, Piotr vivait dans une voiture de location. Trois jours après avoir violenté son épouse et la fille de cette dernière, il fonce avec la voiture dans le hall en verre de la gare de Luxembourg. Un geste qu’il ne s’explique pas et qui lui vaut d’être placé en détention provisoire, où il se trouve toujours actuellement.
L’instruction de cette affaire est toujours en cours. En prison, il aurait commis une tentative de suicide en se lacérant les poignets avec des fragments de miroir jusqu’aux tendons.
«Vous devez vous faire aider par un psychologue en prison, parce que vous voyez le monde plus noir qu’il ne l’est vraiment», lui conseille le président de la 16e chambre correctionnelle après lui avoir rappelé que sa dernière condamnation remontait à mars 2016, ce qui le privait de la possibilité d’obtenir un sursis probatoire.
Jugeant que les infractions de coups et blessures volontaires étaient données et que Piotr est accessible à une sanction pénale, le parquet a requis une peine de 15 mois de prison ferme.
Eva s’est constituée partie civile pour elle et pour sa fille et a demandé l’euro symbolique, ne souhaitant pas l’accabler davantage. Son avocat ayant déposé son mandat, Piotr s’est défendu seul tant bien que mal.
Le prononcé est fixé au 11 novembre.
Sophie Kieffer