En juillet 2015, un incendie se déclarait dans un immeuble du quartier Gare. Le locataire des lieux est rapidement suspecté. Il évoque des représailles de l’État islamique.
Hassan aurait-il eu un intérêt financier à mettre le feu à l’immeuble qu’occupait son commerce au 2 rue Jean-Origer à Luxembourg ? Aurait-il voulu commettre une escroquerie à l’assurance ? « C’est totalement faux », a lancé le prévenu à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg mardi. L’homme d’affaires évoque un complot mêlant l’État islamique, la famille royale qatarienne, un rappeur luxembourgeois et son ancien webmaster.
Vers 2 h 30, dans la nuit du 28 juillet 2015, les pompiers sont intervenus sur un incendie qui s’était déclaré dans les combles de l’immeuble et menaçait de s’étendre aux immeubles voisins. Sur un toit, les soldats du feu avaient retrouvé Hassan. Considéré comme une victime dans un premier temps, il aurait bien vite concentré toute l’attention des enquêteurs.
Les circonstances de l’incendie paraissent confuses. Le prévenu aurait essayé de perdre les enquêteurs dans un écran de fumée. « Toutes les pistes qu’il nous a données ont été explorées, assure un enquêteur de la police judiciaire. La brigade criminelle de Paris a même été vérifier d’où venaient les menaces de l’État islamique. » Le personnage serait trouble et aurait flirté avec l’illégalité et les petites magouilles financières. Ce qui ne plaide pas en sa faveur. Assis sur le banc des prévenus, Hassan note chaque mot prononcé à la barre.
De nombreuses incohérences
L’incendie était volontaire et n’aurait pas pu être causé par une personne externe au bâtiment loué par Hassan. Expert et enquêteurs en sont certains. Des traces d’essence et de produits accélérateurs ont été trouvées à tous les étages et un foyer unique sous les combles. Là où se serait trouvé la comptabilité de l’entreprise.
Hassan qui vivait au-dessus de son commerce, raconte qu’il aurait été réveillé par les flammes et se serait précipité par une fenêtre dans le toit pour sauver sa peau. Un récit qui paraît incohérent, selon les experts. S’il dormait, comme il l’a raconté, il aurait dû être asphyxié dans son sommeil par les fumées émanant de l’incendie dont la température est de 400 à 500 °C. Or, selon les rapports médicaux, Hassan n’aurait respiré qu’une infime quantité de fumée et ne présentait pas de blessures dues à l’incendie.
« L’auteur ne pouvait pas bouter le feu à partir du rez-de-chaussée. Cela lui aurait coupé le chemin vers la sortie. Je pense qu’il a dû se passer quelque chose qui a chamboulé ses plans et l’a obligé à remonter », indique l’enquêteur.
L’eau utilisée pour éteindre l’incendie a effacé des indices. Cependant, les incohérences relevées sur les lieux et lors de l’enquête seraient nombreuses. Certaines laisseraient les enquêteurs penser à une mise en scène. Hassan avait donné congé à ses employés et déplacé des machines achetées récemment et son ordinateur, rien n’a été volé, l’installation de vidéosurveillance avait été désactivée et personne – pas même le prévenu – n’aurait vu ou entendu d’éventuels incendiaires à l’œuvre forçant la serrure et se déplaçant dans les étages.
Le prévenu, victime de représailles
Hassan se débat, « pleurniche », jure ses grands dieux qu’il est la victime dans cette histoire. « Mon client était dans un état de paranoïa total », a indiqué Me Fürst. « Il se sent seul contre tous », « l’enquête a été menée entièrement à charge ». Et de développer une théorie selon laquelle un rappeur luxembourgeois serait derrière les faits avec l’ancien webmaster du site internet du prévenu.
Déjà suspecté de vente de vêtements contrefaits, ce dernier aurait refusé de vendre les albums d’un certain «Bardi» qui l’aurait menacé en retour. Le webmaster aurait conservé des copies de factures et de documents comptables de l’entreprise d’Hassan et pris les disques durs de son ordinateur.
Les deux hommes seraient derrière les menaces « de l’État islamique » reçues par Hassan depuis des années. L’écriture dans laquelle elles seraient rédigées correspondraient à celle du webmaster. Un graphologue viendra en attester à la barre, assure Me Fürst. Un vidéo-clip du rappeur montrerait des feux.
Le graphologue est un des neuf témoins supplémentaires cités par la défense. Un imprévu qui oblige la chambre criminelle à siéger deux jours de plus que prévu mardi et mercredi prochains.
Cette théorie du règlement de comptes peine à convaincre. Une enquêtrice qui a épluché ce qu’il restait des comptes de la société, indique que « ses ventes n’étaient pas bonnes à partir de 2014 », que la société « a survécu jusqu’en 2013 » et n’exclut pas qu’un intérêt financier pourrait se cacher derrière l’incendie.
Le prévenu aurait payé ses fournisseurs et le salaire de son frère directement de la caisse et aurait mis des avoirs personnels pour équilibrer les comptes. « Nous n’avons pas vu tout cela », assure la comptable de la société. « C’était une comptabilité tout à fait régulière. » « Il gérait ses affaires comme un néophyte, note l’ancienne commissaire divisionnaire. La société a été maintenue en vie artificiellement. »
Ironie du sort s’il s’avérait que le prévenu était l’incendiaire : Hassan serait tombé des nues en apprenant qu’il n’était pas assuré en cas de perte d’exploitation et que son logement au-dessus du magasin ne l’était pas non plus.
Sophie Kieffer